Emballements et contre-emballements, par Richard Prasquier
LE MONDE | 22.09.08 | 12h40 • Mis à jour le 22.09.08 | 12h40 Réagir Classer E-mail Imprimer Partager
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Le samedi 6 septembre au soir, trois jeunes juifs sont conduits à l'hôpital pour recevoir des soins : nez cassé, pommette enfoncée... Les conséquences physiques auraient pu être encore plus graves si, de façon inopinée, les assaillants ne s'étaient pas enfuis. Ils étaient une douzaine apparemment, cinq d'entre eux ont été arrêtés grâce au repérage par caméra, les autres courent toujours. Pour une "baston", les forces en présence étaient bien déséquilibrées. Bagarre entre des bandes, nous dit-on. Contre douze, trois garçons feraient donc une bande. Et deux ? Et un ? A partir de quand la disproportion autorise-t-elle à parler de tentative de lynchage ?
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Imaginez que votre garçon, accompagné de deux de ses camarades, aille à la synagogue (ou à l'église, à la mosquée ou au cinéma...). Il n'a aucun passé judiciaire, n'a jamais manifesté de goût pour la bagarre, travaille avec soin au lycée, marche calmement dans la rue. Il se fait agresser ; c'est, dit-on, qu'il faisait partie d'une bande.
Comment la bagarre a-t-elle commencé ? Votre garçon a reçu des projectiles - des pierres, a-t-il pensé (il semble qu'il se soit agi d'un "fusil à billes", instrument sur l'utilité duquel je m'interroge). Il est allé voir les lanceurs pour leur demander des explications. Je dis bien : des explications. Et il a été frappé. Entre l'envoi de projectiles et la demande d'explications, lequel est l'acte agressif ? Faut-il que nous apprenions à nos enfants à longer les murs sans réagir à la violence ? L'exemple à suivre doit-il être celui de tous les spectateurs passifs et apeurés ? C'est cela, la démocratie que nous voulons ?
J'oubliais... les garçons portaient une kippa. Il y avait beaucoup d'autres passants dans la rue Petit ce samedi après-midi. Pourquoi les projectiles n'ont-ils pas été envoyés sur eux ? Le hasard ? Ce hasard qui permet d'échapper à l'incrimination antisémite, dont tout le monde sait, et en particulier les agresseurs, qu'elle risque d'entraîner une aggravation de la peine ? Ou cette idée solidement installée que les "feujs" sont de toute façon des cibles légitimes ? Il n'y a pas eu non plus d'insultes, comme l'ont déclaré les garçons dans leur déposition ; on leur a appris à ne pas mentir. Certainement un argument pour ne pas retenir la qualification antisémite. Mais qui a dit que les insultes étaient un ingrédient indispensable à cette qualification ? Frapper un juif parce qu'il est juif, sans l'insulter, ne serait pas une action antisémite ?
Avec une certaine surprise, on a appris qu'un des agresseurs était juif. Il aurait vu la bagarre et s'y serait joint par amitié... Ce qui prouve au moins, et c'est heureux, que les relations chez les jeunes ne se réduisent pas à de simples regroupements "ethniques", mais ne change en rien les réflexions sur le début de l'agression, dont le fait générateur fut le lancement de projectiles.
Au demeurant, même si, à l'issue de l'enquête, le caractère antisémite n'est pas retenu, au profit du simple pari stupide, le plus grave n'est pas là. Ce qui importe est de prendre en considération que les actions, insultes, bousculades ou incivilités antisémites sont devenues monnaie courante dans certaines rues de l'arrondissement, qu'elles modifient et déterminent les comportements, les esquives et les craintes de beaucoup de jeunes juifs et de leurs parents qui y vivent, et apparemment seulement de ceux-ci. Il n'y a pas de plainte, pas de main courante, mais ce sentiment diffus et insupportable de ne pas être des citoyens protégés comme les autres. Il est heureux que les pouvoirs publics prennent la mesure de ces frustrations dangereuses et inacceptables, et renforcent les réflexions sur les moyens pour y faire face, moyens qui ne peuvent pas être seulement répressifs, mais qui doivent l'être aussi.
Oui, il y a eu des emballements dans le passé, mais prenons garde de ne pas céder aux contre-emballements et de fermer les yeux sur la réalité. D'autant plus qu'il y a derrière ces distinctions qui peuvent paraître oiseuses, conflit de bandes ou pas, des enfants qui ne comprennent pas pourquoi, alors qu'ils ont été blessés, qu'ils en subissent les conséquences, qu'ils ont eu très peur, sans y avoir aucune responsabilité, ils doivent en plus souffrir cette sorte d'humiliation morale, dont l'injustice les révolte, d'être mis au même rang que leurs agresseurs. Quand on n'assimile pas, de façon assez scandaleuse, leurs témoignages à ceux de certains passagers affabulateurs du RER D...
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Le samedi 6 septembre au soir, trois jeunes juifs sont conduits à l'hôpital pour recevoir des soins : nez cassé, pommette enfoncée... Les conséquences physiques auraient pu être encore plus graves si, de façon inopinée, les assaillants ne s'étaient pas enfuis. Ils étaient une douzaine apparemment, cinq d'entre eux ont été arrêtés grâce au repérage par caméra, les autres courent toujours. Pour une "baston", les forces en présence étaient bien déséquilibrées. Bagarre entre des bandes, nous dit-on. Contre douze, trois garçons feraient donc une bande. Et deux ? Et un ? A partir de quand la disproportion autorise-t-elle à parler de tentative de lynchage ?
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Comment la bagarre a-t-elle commencé ? Votre garçon a reçu des projectiles - des pierres, a-t-il pensé (il semble qu'il se soit agi d'un "fusil à billes", instrument sur l'utilité duquel je m'interroge). Il est allé voir les lanceurs pour leur demander des explications. Je dis bien : des explications. Et il a été frappé. Entre l'envoi de projectiles et la demande d'explications, lequel est l'acte agressif ? Faut-il que nous apprenions à nos enfants à longer les murs sans réagir à la violence ? L'exemple à suivre doit-il être celui de tous les spectateurs passifs et apeurés ? C'est cela, la démocratie que nous voulons ?
J'oubliais... les garçons portaient une kippa. Il y avait beaucoup d'autres passants dans la rue Petit ce samedi après-midi. Pourquoi les projectiles n'ont-ils pas été envoyés sur eux ? Le hasard ? Ce hasard qui permet d'échapper à l'incrimination antisémite, dont tout le monde sait, et en particulier les agresseurs, qu'elle risque d'entraîner une aggravation de la peine ? Ou cette idée solidement installée que les "feujs" sont de toute façon des cibles légitimes ? Il n'y a pas eu non plus d'insultes, comme l'ont déclaré les garçons dans leur déposition ; on leur a appris à ne pas mentir. Certainement un argument pour ne pas retenir la qualification antisémite. Mais qui a dit que les insultes étaient un ingrédient indispensable à cette qualification ? Frapper un juif parce qu'il est juif, sans l'insulter, ne serait pas une action antisémite ?
Avec une certaine surprise, on a appris qu'un des agresseurs était juif. Il aurait vu la bagarre et s'y serait joint par amitié... Ce qui prouve au moins, et c'est heureux, que les relations chez les jeunes ne se réduisent pas à de simples regroupements "ethniques", mais ne change en rien les réflexions sur le début de l'agression, dont le fait générateur fut le lancement de projectiles.
Au demeurant, même si, à l'issue de l'enquête, le caractère antisémite n'est pas retenu, au profit du simple pari stupide, le plus grave n'est pas là. Ce qui importe est de prendre en considération que les actions, insultes, bousculades ou incivilités antisémites sont devenues monnaie courante dans certaines rues de l'arrondissement, qu'elles modifient et déterminent les comportements, les esquives et les craintes de beaucoup de jeunes juifs et de leurs parents qui y vivent, et apparemment seulement de ceux-ci. Il n'y a pas de plainte, pas de main courante, mais ce sentiment diffus et insupportable de ne pas être des citoyens protégés comme les autres. Il est heureux que les pouvoirs publics prennent la mesure de ces frustrations dangereuses et inacceptables, et renforcent les réflexions sur les moyens pour y faire face, moyens qui ne peuvent pas être seulement répressifs, mais qui doivent l'être aussi.
Oui, il y a eu des emballements dans le passé, mais prenons garde de ne pas céder aux contre-emballements et de fermer les yeux sur la réalité. D'autant plus qu'il y a derrière ces distinctions qui peuvent paraître oiseuses, conflit de bandes ou pas, des enfants qui ne comprennent pas pourquoi, alors qu'ils ont été blessés, qu'ils en subissent les conséquences, qu'ils ont eu très peur, sans y avoir aucune responsabilité, ils doivent en plus souffrir cette sorte d'humiliation morale, dont l'injustice les révolte, d'être mis au même rang que leurs agresseurs. Quand on n'assimile pas, de façon assez scandaleuse, leurs témoignages à ceux de certains passagers affabulateurs du RER D...
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