Saturday, December 13, 2008

En Amérique latine, l’antisémitisme est un domaine qui comporte encore des zones d’ombre. Récemment le Brésil a publié un gros recueil qui décrit ce phénomène particulièrement effrayant dans cette partie du monde . La sortie de ce recueil en est d’autant plus appréciable.

Beaucoup de Sud-Américains portent officiellement des prénoms comme Hitler, Himmler et Eichman. L’annuaire téléphonique de São Paulo contient le plus sérieusement du monde un „Himmler Hitler Göring Ferreira Santos“. Les attaques contre les synagogues sont monnaie courante, le nombre des sites web et des groupuscules néonazis croît de manière effrayante, les personnalités juives reçoivent souvent des menaces de mort. Or, pour la première fois, nous nous trouvons en présence d’un recueil de 740 pages, dans lequel des experts nous éclairent sous des angles différents sur cette haîne des Juifs qui sévit en Amérique du Nord comme en Amérique du Sud.
L’éditrice et co-auteur de cet ouvrage est Maria Luiza Tucci Carneiro, l’une des grandes spécialistes de l’antisémitisme en Amérique latine, qui compte à son actif beaucoup d’ouvrages sur ce thème. Maria Luiza Tucci Carneiro enseigne à l’univeristé de São Paulo. En coopération avec l’institut Yad-Vashem de Jérusalem, elle est en train de créer des archives virtuelles sur l’holocauste et l’antisémitisme. Par ailleurs, elle travaille à un matériel didactique qui manquait cruellement et qu’elle destine aux enseignants brésiliens : un matériel pédagogique qui devrait exister depuis des décennies.


Pour Maria Luiza Tucci Carneiro, l’antisémitisme au Brésil et dans les autres pays d’Amérique du Nord et du Sud, se cache aujourd’hui le plus souvent derrière l’antisionisme, comme haine d’Israël. „Pourtant, à y regarder de plus près, il s’agit de la haine des Juifs, où l‘on perçoit le fameux antisémitisme bien ancré.“ Surtout au Brésil, en Argentine et au Chili, la mentalité anitjuive est indissociable d’une forte dimension politique. Les ouvrages abjects de l’époque nazie sont réédités. Au Brésil, la traduction de „Mein Kampf“ parue en édition de luxe depuis des années, n’a pas tardé à devenir un bestseller. Les libraires s’empressent de le recommander à leurs clients. Depuis le 19ème sièce, les théories raciales d’Allemagne et de France ont été reprises au Brésil par des cercles dirigeants et propagées par des intellectuels de renom. „On voulait ici une race – blanche, non juive et catholique.“

Le recueil qui vient de sortir contient une étude étonnante de l’historienne Silvia Cortez Silva sur une icône de la culture brésilienne, l’écrivain Gilberto Freyre, dont le centenaire a été célébré en grande pompe en 2000. De son vivant, Freyre avait déjà honoré de sa présence maintes universités prestigieuses du monde entier bien qu’il ait répandu les pires préjugés antisémites dans son classique, „Maîtres et esclaves, la formation de la société brésilienne“. Gilberto Freyre n’a jamais dissimulé ce qu’il pensait des Juifs, précise Silva. „La façon dont il décrit le profil et l’identité des Juifs, ne pourrait pas être plus antisémite“. On y trouve des expressions et des attributs comme sangsue, parasite, exploiteur, sans scrupules, roublard, nez juif, visage de vautour, pour n’en citer que quelques-uns. Silva nous fait remarquer que ces qualificatifs sont passés inaperçus pendant toutes les années de succès de ce livre.
A ce jour, les opinions antisémites sont monnaie courante en Amérique latine. Au Brésil, certains dictionnaires des mots d’emprunts définissent le terme juif le plus sérieusement du monde comme „méchant“. Par ailleurs, le dictateur qui haissait les Juifs, Getùlio Vargas demeure officiellement le plus grand homme d’Etat de l’histoire nationale qui, dès 1936, avait interdit par décret secret la délivrance de visas d’entrée aux Juifs persécutés. „On compte officiellement plus de 10 000 refus de visas d’entrée, mais il y en a beaucoup plus“, affirme Carneiro. Sans oublier les nombreux Juifs qui ont été déportés en Allemagne.

Le cas de Stefan Zweig

Et pourtant, le grand écrivain juif, Stefan Zweig ne s’est-il pas réfugié précisément au Brésil sous la dictature de Getùlio Vargas? Derrière la façade immaculée d’une nation sans préjugés, sans racisme, certains Juifs ont été acceptés exceptionnellement dans le pays : notamment ceux qui avaient ouvert un compte en banque bien nourri à la Banco do Brasil ou bien ceux sur lesquels ont misait beaucoup par l’image de marque qu’ils véhiculaient. Alberto Dines, grand journaliste et biographe de Zweig rappelle le contexte : „Ce visa d’entrée était précieux à l’époque pour les Juifs qui voulaient fuir l’Europe. Stefan Zweig a conclu un marché avec le gouvernment Vargas – il écrivit un livre en faveur du Brésil en échange d’un visa permanent qu’il réussit à obtenir avec une facilité incroyable. Zweig n’était pas politisé, il avait fermé ses yeux à beaucoup de choses. En échange, il trouva un paradis“. Le livre, „Brésil, pays d’avenir“, bien loin de la réalité, est aujourd’hui encore un best-seller mondial et curieusement un classique de la littérature brésilienne. Nulle part, il est fait allusion à l’horrible antisémitisme brésilien sous la dictature de Vargas.

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