E ET MÉCHANT
Delfeil de Ton: «Antisémite: l'insulte qui a remplacé fasciste»
Ancien pilier de «Charlie Hebdo», Delfeil de Ton, chroniqueur au «Nouvel Observateur», sait ce que la presse satirique doit à Cavanna et au Professeur Choron
Image © Maxxpp
Ancien pilier de «Charlie Hebdo», Delfeil de Ton, chroniqueur au «Nouvel Observateur», sait ce que la presse satirique doit à Cavanna et au Professeur Choron
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Alors que paraît une somme sur la saga de «Charlie Hebdo», Delfeil de Ton, mémoire vivante de la presse satirique, se souvient du mythe et déplore l'affaire Siné
Ivan Radja - le 07 février 2009, 20h47
Le Matin Dimanche
4 commentaires
Il y a trois mois sortait «Hara-Kiri, les belles images», puis est venu le film de Pierre Carles, «Choron dernière», et voici que paraît aujourd'hui le livre de Stéphane Mazurier, «Bête, méchant et hebdomadaire. Une histoire de «Charlie Hebdo» 1969-1982». Hommages ou oraisons?
(Il éclate de rire.) C'est ça! Choron est mort en 2005, Gébé en 2004, j'ai 75 balais, comme Wolinski, Cavanna en a dix de plus... Quand Reiser a senti qu'il allait mourir (en 1983, à 42 ans, ndlr), il a eu ce mot: «Au moins, je ne deviendrai jamais un vieux con.» Ben, on y est!
Vous vous êtes beaucoup impliqué dans ce livre...
Stéphane Mazurier, un gamin de 30 ans m'a interviewé, comme d'autres, dont Choron et Gébé, qu'il a eu la chance de rencontrer à temps. Au départ, c'était sa thèse de doctorat, puis il l'a élargie. J'ai réussi à lui faire placer un article dans la très sérieuse revue «Histoires littéraires», qui a fait sa une avec la gueule du Professeur Choron, alors que d'habitude c'est plutôt Flaubert... Ça a été leur meilleure vente! Puis j'ai contacté un compatriote à vous, Frédéric Pajak, qui dirige la collection des «Cahiers dessinés» chez Buchet-Chastel, et voilà.
A quoi ressemblait cet âge d'or de la presse satirique?
A un foutoir créatif. Des procès et des interdictions en cascade, le diable par la queue, jusqu'au début des années 1970. Mais quelle concentration de talents, alors inconnus! Il y avait les dessinateurs, Gébé, Willem, Reiser, Fournier, Wolinski, Cabu, mais aussi des textes humoristiques. C'était la partie de Cavanna, la mienne aussi, sans oublier les rares femmes comme Isabelle Cabut, qui était alors l'épouse Cabu, ou Sylvie Caster.
Pourquoi si peu de femmes? Vous étiez misogynes?
Oh non! Mais il fallait du caractère pour exister au milieu de tous ces gars. Et puis, je vais vous dire, les femmes qui déconnent par écrit, c'est rare. Ou alors, c'est de l'humour façon «Elle», le rire entre copines, à propos de robes ou des mecs, vous voyez le genre.
Vous avez dirigé «Charlie Hebdo» à ses débuts, avant de le quitter à son apogée, en 1975. Pourquoi?
C'était un boulot de dingue. J'étais à «Hara-Kiri» depuis 1967, je faisais des papiers pour «Charlie Hebdo», pour «Charlie Mensuel», et on codirigeait le canard avec Cavanna. J'ai senti que si je voulais garder ma femme, faire un enfant, il fallait que je lève le pied. En plus, Cavanna voulait me casser la gueule!
Au sens littéral?
Bien sûr. Il y avait des fêtes et des colères incroyables à «Charlie». On se marrait comme des dingues, mais on était tous au bout du rouleau. Des tempéraments comme Choron et Cavanna, c'est rare. Pas toujours faciles, mais on leur doit tout, ce qu'oublient les exploitants, ou exploiteurs, de l'actuel «Charlie Hebdo».
Dans le livre, certaines reproductions de pages de «Charlie Hebdo» sont caviardées. Retour de la censure?
Oui, et ça vient de Cabu et Wolinski, qui ne voulaient pas que leurs dessins apparaissent dans ce bouquin. Un comble, de la part de gens qui ont tant combattu la censure.
Une guerre dans la grande confrérie de l'humour?
En fait, le nouveau directeur de «Charlie Hebdo», Philippe Val, avec Cabu et d'autres, essaie de réécrire l'histoire du titre, et ils ne veulent pas reconnaître ce que Choron leur a apporté. C'est lui qui a tout créé, avec Cavanna, depuis le premier «Hara-Kiri» en 1960. C'est lui qui a trouvé le titre «Charlie».
Pourquoi Charlie?
Contrairement à une légende qui veut que ce soit un gag sur Charles de Gaulle, c'est en fait venu bêtement, en parlant du Charlie Brown de Schultz. Choron a trouvé ça marrant, ça faisait un peu copain. Charlie, c'est le pote, et ça se moquait un peu de journaux pour adolescents du genre «Johnny».
On se souvient des fiches bricolages du Professeur Choron, mais il n'écrivait pas. Quel était son rôle?
Trouver des ronds. Comme l'a joliment écrit Cavanna, il faisait «sortir l'argent d'entre les pavés». Bon, c'est vrai qu'il y retournait assez vite (rires). Il avait un culot fou, et une gestion pas très professionnelle, c'est vrai. S'il avait été mieux géré, «Hara-Kiri» vivrait encore, mais paradoxalement il n'aurait jamais vu le jour, vous voyez ce que je veux dire? Choron, c'était un état d'esprit. C'est encore lui qui a eu le trait de génie du célèbre «Bal tragique à Collombey: 1 mort», au décès de De Gaulle. Un titre historique, qui a valu l'interdiction de «Hara-Kiri Hebdo», et sa renaissance la semaine suivante sous le titre «Charlie Hebdo», ainsi que le succès.
Pourquoi tant d'ingratitude?
Je ne sais pas vraiment. Philippe Val, qui a racheté les droits de ce titre à Cavanna en 1992, a fait revivre «Charlie», mais aujourd'hui il n'a plus que des ambitions de carrière, politique ou autre. Il veut être ministre? Ambassadeur? Qu'il y aille. Et il y a l'argent aussi. Lui et Cabu détiennent à eux deux environ 80% des actions. Cavanna s'est fait avoir. C'est aussi pour ça que je n'y suis resté que quelques mois en 1993.
Il y a surtout le licenciement de Siné, l'été passé, accusé d'antisémitisme par Philippe Val suite à un dessin et un texte sur Jean Sarkozy...
De la pure calomnie. Val voulait se débarrasser de Siné. Du reste, les audiences du procès intenté par la Licra [Ligue contre le racisme, ndlr] contre Siné viennent de se terminer, et même le procureur a demandé sa relaxe. Le 24 février, Siné aura gagné ce procès injuste.
Pourquoi signer dans «Siné Hebdo»? Votre chronique du «Nouvel Observateur», «Les lundis de Delfeil de Ton», ne vous suffit plus?
Par militantisme. Car jamais je n'écrirais dans le journal de Siné s'il était antisémite. C'est l'accusation à la mode. Même Bernard-Henri Lévy, déjà bateleur des médias, fait maintenant le tour des prétoires. Il est allé témoigner au procès, contre Siné. Aujourd'hui, «antisémite» a remplacé «fasciste» dans les attaques. C'est grave, car ils vont vider ce terme de sa substance.
Vous leur en voulez vraiment...
Ils ont fait une erreur en virant Siné. C'est d'ailleurs marrant, car son journal pique pas mal de lecteurs à «Charlie Hebdo». Je suis sûr que Val n'avait pas prévu cette réaction, Une réaction à la Choron! Il y a un état d'esprit qui revient, proche de celui des années 1970.
Dans la presse?
Non, d'ailleurs je n'aimerais pas être jeune dans ce métier, on ne leur propose plus grand-chose d'exaltant. Je parlais en général, sur Internet, par exemple. Les soutiens à Siné. Les familles recomposées, les squatters. Bon, c'est plus le Larzac en plein Paris, mais ils font une sorte d'art. (Rires.)
En fait, ça vous plaît que ça castagne à nouveau?
Exact! En plus, je découvre plein de jeunes dessinateurs, je ressors le soir avec Willem, on se balade dans Paris avec Cavanna. Et je peux vous dire qu'on n'avance pas vite. C'est fou ce qu'il est populaire, c'est un peu le grand-père de la France. Il a cette stature, cette gueule; il plaisait et plaît toujours aux femmes. Et les lecteurs de «Charlie Hebdo» ne sont pas dupes de ce qui se passe, Merci Val, Merci Cabu!
Delfeil de Ton: «Antisémite: l'insulte qui a remplacé fasciste»
Ancien pilier de «Charlie Hebdo», Delfeil de Ton, chroniqueur au «Nouvel Observateur», sait ce que la presse satirique doit à Cavanna et au Professeur Choron
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Ancien pilier de «Charlie Hebdo», Delfeil de Ton, chroniqueur au «Nouvel Observateur», sait ce que la presse satirique doit à Cavanna et au Professeur Choron
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Alors que paraît une somme sur la saga de «Charlie Hebdo», Delfeil de Ton, mémoire vivante de la presse satirique, se souvient du mythe et déplore l'affaire Siné
Ivan Radja - le 07 février 2009, 20h47
Le Matin Dimanche
4 commentaires
Il y a trois mois sortait «Hara-Kiri, les belles images», puis est venu le film de Pierre Carles, «Choron dernière», et voici que paraît aujourd'hui le livre de Stéphane Mazurier, «Bête, méchant et hebdomadaire. Une histoire de «Charlie Hebdo» 1969-1982». Hommages ou oraisons?
(Il éclate de rire.) C'est ça! Choron est mort en 2005, Gébé en 2004, j'ai 75 balais, comme Wolinski, Cavanna en a dix de plus... Quand Reiser a senti qu'il allait mourir (en 1983, à 42 ans, ndlr), il a eu ce mot: «Au moins, je ne deviendrai jamais un vieux con.» Ben, on y est!
Vous vous êtes beaucoup impliqué dans ce livre...
Stéphane Mazurier, un gamin de 30 ans m'a interviewé, comme d'autres, dont Choron et Gébé, qu'il a eu la chance de rencontrer à temps. Au départ, c'était sa thèse de doctorat, puis il l'a élargie. J'ai réussi à lui faire placer un article dans la très sérieuse revue «Histoires littéraires», qui a fait sa une avec la gueule du Professeur Choron, alors que d'habitude c'est plutôt Flaubert... Ça a été leur meilleure vente! Puis j'ai contacté un compatriote à vous, Frédéric Pajak, qui dirige la collection des «Cahiers dessinés» chez Buchet-Chastel, et voilà.
A quoi ressemblait cet âge d'or de la presse satirique?
A un foutoir créatif. Des procès et des interdictions en cascade, le diable par la queue, jusqu'au début des années 1970. Mais quelle concentration de talents, alors inconnus! Il y avait les dessinateurs, Gébé, Willem, Reiser, Fournier, Wolinski, Cabu, mais aussi des textes humoristiques. C'était la partie de Cavanna, la mienne aussi, sans oublier les rares femmes comme Isabelle Cabut, qui était alors l'épouse Cabu, ou Sylvie Caster.
Pourquoi si peu de femmes? Vous étiez misogynes?
Oh non! Mais il fallait du caractère pour exister au milieu de tous ces gars. Et puis, je vais vous dire, les femmes qui déconnent par écrit, c'est rare. Ou alors, c'est de l'humour façon «Elle», le rire entre copines, à propos de robes ou des mecs, vous voyez le genre.
Vous avez dirigé «Charlie Hebdo» à ses débuts, avant de le quitter à son apogée, en 1975. Pourquoi?
C'était un boulot de dingue. J'étais à «Hara-Kiri» depuis 1967, je faisais des papiers pour «Charlie Hebdo», pour «Charlie Mensuel», et on codirigeait le canard avec Cavanna. J'ai senti que si je voulais garder ma femme, faire un enfant, il fallait que je lève le pied. En plus, Cavanna voulait me casser la gueule!
Au sens littéral?
Bien sûr. Il y avait des fêtes et des colères incroyables à «Charlie». On se marrait comme des dingues, mais on était tous au bout du rouleau. Des tempéraments comme Choron et Cavanna, c'est rare. Pas toujours faciles, mais on leur doit tout, ce qu'oublient les exploitants, ou exploiteurs, de l'actuel «Charlie Hebdo».
Dans le livre, certaines reproductions de pages de «Charlie Hebdo» sont caviardées. Retour de la censure?
Oui, et ça vient de Cabu et Wolinski, qui ne voulaient pas que leurs dessins apparaissent dans ce bouquin. Un comble, de la part de gens qui ont tant combattu la censure.
Une guerre dans la grande confrérie de l'humour?
En fait, le nouveau directeur de «Charlie Hebdo», Philippe Val, avec Cabu et d'autres, essaie de réécrire l'histoire du titre, et ils ne veulent pas reconnaître ce que Choron leur a apporté. C'est lui qui a tout créé, avec Cavanna, depuis le premier «Hara-Kiri» en 1960. C'est lui qui a trouvé le titre «Charlie».
Pourquoi Charlie?
Contrairement à une légende qui veut que ce soit un gag sur Charles de Gaulle, c'est en fait venu bêtement, en parlant du Charlie Brown de Schultz. Choron a trouvé ça marrant, ça faisait un peu copain. Charlie, c'est le pote, et ça se moquait un peu de journaux pour adolescents du genre «Johnny».
On se souvient des fiches bricolages du Professeur Choron, mais il n'écrivait pas. Quel était son rôle?
Trouver des ronds. Comme l'a joliment écrit Cavanna, il faisait «sortir l'argent d'entre les pavés». Bon, c'est vrai qu'il y retournait assez vite (rires). Il avait un culot fou, et une gestion pas très professionnelle, c'est vrai. S'il avait été mieux géré, «Hara-Kiri» vivrait encore, mais paradoxalement il n'aurait jamais vu le jour, vous voyez ce que je veux dire? Choron, c'était un état d'esprit. C'est encore lui qui a eu le trait de génie du célèbre «Bal tragique à Collombey: 1 mort», au décès de De Gaulle. Un titre historique, qui a valu l'interdiction de «Hara-Kiri Hebdo», et sa renaissance la semaine suivante sous le titre «Charlie Hebdo», ainsi que le succès.
Pourquoi tant d'ingratitude?
Je ne sais pas vraiment. Philippe Val, qui a racheté les droits de ce titre à Cavanna en 1992, a fait revivre «Charlie», mais aujourd'hui il n'a plus que des ambitions de carrière, politique ou autre. Il veut être ministre? Ambassadeur? Qu'il y aille. Et il y a l'argent aussi. Lui et Cabu détiennent à eux deux environ 80% des actions. Cavanna s'est fait avoir. C'est aussi pour ça que je n'y suis resté que quelques mois en 1993.
Il y a surtout le licenciement de Siné, l'été passé, accusé d'antisémitisme par Philippe Val suite à un dessin et un texte sur Jean Sarkozy...
De la pure calomnie. Val voulait se débarrasser de Siné. Du reste, les audiences du procès intenté par la Licra [Ligue contre le racisme, ndlr] contre Siné viennent de se terminer, et même le procureur a demandé sa relaxe. Le 24 février, Siné aura gagné ce procès injuste.
Pourquoi signer dans «Siné Hebdo»? Votre chronique du «Nouvel Observateur», «Les lundis de Delfeil de Ton», ne vous suffit plus?
Par militantisme. Car jamais je n'écrirais dans le journal de Siné s'il était antisémite. C'est l'accusation à la mode. Même Bernard-Henri Lévy, déjà bateleur des médias, fait maintenant le tour des prétoires. Il est allé témoigner au procès, contre Siné. Aujourd'hui, «antisémite» a remplacé «fasciste» dans les attaques. C'est grave, car ils vont vider ce terme de sa substance.
Vous leur en voulez vraiment...
Ils ont fait une erreur en virant Siné. C'est d'ailleurs marrant, car son journal pique pas mal de lecteurs à «Charlie Hebdo». Je suis sûr que Val n'avait pas prévu cette réaction, Une réaction à la Choron! Il y a un état d'esprit qui revient, proche de celui des années 1970.
Dans la presse?
Non, d'ailleurs je n'aimerais pas être jeune dans ce métier, on ne leur propose plus grand-chose d'exaltant. Je parlais en général, sur Internet, par exemple. Les soutiens à Siné. Les familles recomposées, les squatters. Bon, c'est plus le Larzac en plein Paris, mais ils font une sorte d'art. (Rires.)
En fait, ça vous plaît que ça castagne à nouveau?
Exact! En plus, je découvre plein de jeunes dessinateurs, je ressors le soir avec Willem, on se balade dans Paris avec Cavanna. Et je peux vous dire qu'on n'avance pas vite. C'est fou ce qu'il est populaire, c'est un peu le grand-père de la France. Il a cette stature, cette gueule; il plaisait et plaît toujours aux femmes. Et les lecteurs de «Charlie Hebdo» ne sont pas dupes de ce qui se passe, Merci Val, Merci Cabu!
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