Monday, January 29, 2007

LE RETOUR DES JUIFS EN ROUMANIE

Le retour des juifs en Roumanie
LE MONDE 22.01.07 16h26 • Mis à jour le 22.01.07 16h27 BUCAREST CORRESPONDANCE
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a sonnerie de son téléphone mobile retentit au moment où il parle, dans un roumain parfait, sur sa ligne fixe. Jacob Fonea, homme d'affaires israélien installé à Bucarest, prend la communication. Les deux combinés collés à ses oreilles, il passe du roumain au yiddish sans la moindre trace d'accent.
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De son bureau, situé au quatrième étage d'un immeuble flambant neuf, il balaie du regard le quartier Primaverii (Printemps), ancien fief de la nomenklatura communiste. La villa préférée de feu le dictateur Nicolae Ceausescu se trouve à deux pas de là. Mais, dix-sept ans après la chute de la dictature, le communisme est bien mort en Roumanie. Le pays est entré dans l'Union européenne au 1er janvier.
"A Bucarest, je me sens chez moi comme à Haïfa, en Israël, affirme Jacob Fonea. La seule différence c'est qu'ici il n'y a pas les missiles du Hezbollah." Sa vie est partagée entre les fins de semaine, passées en Israël aux côtés de sa famille, et des séjours à Bucarest pour gérer les affaires. "Deux heures et demie de vol, quatre vols réguliers par jour, ça va", précise-t-il. Son groupe, Alpha - textiles, céramique, chimie et pétrochimie -, fait travailler environ 3 000 personnes et génère un chiffre d'affaires de 100 millions d'euros. Même dans ses plus beaux rêves, l'ancien stomatologue, que ses employés continuent d'appeler "Monsieur le Docteur", n'aurait pu imaginer pareille réussite.
En 1965 - il avait 8 ans -, sa famille quitte la Roumanie, direction Israël. Les grands-parents ont été déportés et gazés à Auschwitz pendant la seconde guerre mondiale. Alliée de l'Allemagne nazie, la Roumanie s'est rendue coupable de la déportation d'au moins 400 000 juifs. Après la guerre, l'Etat communiste qui s'est installé les traitera comme une marchandise, empochant 10 000 dollars de "compensation" pour chaque juif en partance pour Israël. La Roumanie comptait 800 000 juifs avant la guerre ; en décembre 1989, lorsque le régime communiste est renversé, ils sont moins de 10 000. En Israël, les juifs d'origine roumaine sont autour de 500 000.
"Je suis revenu en Roumanie en 1990 aussitôt après la chute de la dictature, affirme le stomatologue converti au business. C'était le vide total, on ne trouvait rien. Les grandes sociétés n'osaient pas s'aventurer dans ce pays. J'ai commencé par importer des appareils de climatisation. Ceausescu ne supportait pas la "clim", et il n'y avait que six appareils dans un pays de 22 millions d'habitants. Il interdisait aussi les contraceptifs, se souvient-il. Les pharmacies ont été très vite privatisées, mais je ne pouvais pas faire face aux commandes. Le principal problème était qu'on ne pouvait convertir l'argent roumain en devises pour le sortir du pays. Alors j'ai investi dans les textiles et j'ai misé sur l'exportation. J'avais 32 ans, j'étais un jeune loup passionné des affaires."
L'aventure de Jacob Fonea n'est pas singulière. Les enfants de l'Holocauste sont nombreux à revenir dans un pays jadis déserté par leurs parents pour d'excellentes raisons. On compte aujourd'hui en Roumanie environ 3 500 entreprises israéliennes et 15 000 hommes d'affaires juifs qui ont injecté dans ce pays autour de 2 milliards d'euros. Agroalimentaire, haute technologie, industrie militaire, banques et bâtiment sont leurs domaines d'investissement privilégiés. " C'est une deuxième génération de juifs qui se sentent attachés à la terre natale de leurs parents, explique Aurel Vainer, député et président de la communauté juive de Roumanie. Ils parlent le roumain et ils ont la capacité financière pour intervenir sur ce marché. Dans le monde des affaires, le contact direct est essentiel si l'on veut saisir les nuances. Dans le business, ce sont les nuances qui comptent."
Dans la politique aussi, est-on tenté de dire. Les relations entre Bucarest et Israël ont toujours été "spéciales". Même à l'époque communiste, la Roumanie était le seul pays du bloc soviétique à cultiver des relations diplomatiques assez étroites avec l'Etat juif. Aujourd'hui, les deux pays sont liés par vingt-trois accords économiques concernant le libre-échange et garantissant les investissements.
"Les juifs ont cru dans l'avenir de ce pays, explique Jose Iacobescu, président de la Chambre de commerce et d'industrie roumano-israélienne. C'est pour cela qu'ils ont investi ici. Quand je regarde en arrière, il me semble que j'ai vécu un miracle." Lorsque la dictature est tombée, M. Iacobescu était ingénieur automobile. Tout de suite, il est allé voir l'attaché commercial de l'ambassade d'Israël à Bucarest et a proposé la création de la chambre de commerce qu'il préside. "Le gouvernement roumain s'est montré coopératif et a sorti une ordonnance d'urgence pour nous donner le feu vert, se souvient-il. C'était la première chambre de commerce bilatérale après la chute du communisme. Nous avons pu accélérer les investissements juifs en Roumanie, mais il faut dire que ce pays présente aujourd'hui de grands avantages pour les étrangers."
Introduit en 2005, le taux unique d'imposition - 16 % sur le profit des sociétés et les revenus des employés, quels que soient leurs niveaux - a simplifié la fiscalité et rassuré les investisseurs. Résultat : alors qu'en quatorze années, entre 1990 et 2004, la Roumanie n'avait attiré que 14 milliards d'euros d'investissements étrangers, en deux ans - 2005 et 2006 - elle en a obtenu au moins 15 milliards.
"Aujourd'hui, estime Jose Iacobescu, il y a très peu d'antisémitisme en Roumanie." Mais dans un pays qui a sérieusement failli déraper dans un nationalisme étroit et intolérant au début des années 1990, la prudence reste de mise. Quand ils débarquent à l'aéroport de Bucarest, les hommes affaires juifs ne se précipitent pas pour mettre une kippa. Le pays compte encore quelques organisations d'extrême droite antisémites qui ne cessent de dénoncer le "danger juif". Ainsi le parti extrémiste Romania Mare (La Grande Roumanie), qui a eu le vent en poupe dans les années 1990. Depuis 2000 pourtant, année où la Roumanie a entamé les négociations d'adhésion à l'UE, les poussées "patriotardes" se sont calmées. "Entre-temps, le pays a décidé d'affronter son histoire et l'Holocauste, assure Rodica Radian-Gordon, ambassadrice d'Israël à Bucarest, elle aussi d'origine roumaine. La reconnaissance officielle de l'Holocauste, une journée commémorative annuelle de cet événement, les nouveaux manuels scolaires et un futur Mémorial de la déportation ont changé la donne."




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Le 24 octobre 2006, le groupe Leumi, deuxième réseau bancaire d'Israël, s'est installé en Roumanie. "Le milieu bancaire est très conservateur, précise Arnon Arbel, conseiller économique à l'ambassade d'Israël. Une banque comme Leumi ne s'installe dans un pays qu'après une analyse très poussée du marché. La Roumanie connaît actuellement le taux de croissance le plus élevé d'Europe, et ce pays servira de tête de pont entre les sociétés israéliennes et l'Europe centrale. Leumi est une banque d'investissements très puissante qui va attirer les grandes entreprises israéliennes sur le marché roumain."
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Les relations économiques entre Israël et la Roumanie ne sont pas à sens unique. Si les enfants de l'Holocauste viennent à Bucarest, les enfants de la dictature roumaine vont aussi en Israël. Environ 200 000 Roumains sont partis travailler en Terre sainte, la plupart dans le bâtiment. De retour chez eux, ils possèdent non seulement un pécule, mais ils ont acquis une certaine connaissance de l'hébreu, ce qui fait l'affaire des entreprises israéliennes à la recherche de main-d'oeuvre qualifiée dans les Carpates.
Problème : dès avant 2007, la perspective d'adhésion à l'UE a littéralement bousculé l'économie roumaine. Depuis 2002 déjà, les citoyens roumains circulent sans visa dans l'espace Schengen de l'Union, et environ deux millions et demi d'entre eux y sont partis travailler. Du coup, un nombre grandissant d'entreprises locales sont confrontées à une pénurie de main-d'oeuvre. Certaines d'entre elles en sont venues à embaucher des Chinois, moins exigeants sur les salaires. "Je suis obligé de transférer deux unités de production d'une de mes entreprises de textile en Moldavie ex-soviétique, déclare Jacob Fonea. Mon problème est que je ne trouve plus assez d'employés roumains pour produire les pull-overs que j'exporte dans l'Union européenne."
L'ancien stomatologue dévoile le secret très personnel de son succès : "Ce pays m'a toujours fait l'effet de déjà-vu." Israël et la Roumanie, selon lui, ont un peu vécu la même histoire économique, à une vingtaine d'années de distance. "M. le Docteur" a connu la libéralisation et l'inflation à 400 % l'an en Israël. La Roumanie a suivi le même processus. "Quand je suis arrivé à Bucarest, j'ai retrouvé les mêmes problèmes que ceux que j'avais connus en Israël dans mon adolescence. C'était un grand avantage par rapport aux autres investisseurs. Les juifs ont tout de suite compris que la Roumanie allait décoller parce qu'ils étaient passés par là." Après avoir allumé une énième cigarette, Jacob Fonea philosophe. "On est stressé jusqu'à ce qu'on gagne les deux premiers millions d'euros. Et puis, quand on arrive à 100 millions de chiffre d'affaires, l'argent ne nous intéresse plus. Aujourd'hui, c'est la passion qui me retient dans le business, car je veux laisser quelque chose derrière moi dans ce pays qui m'a tant donné."

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