LE TRES BEAU DISCOURS DE ROGER CUKERMAN AU REPAS DU CRIF
Allocution de Roger Cukierman au dîner du CRIF du 23 janvier 2007
24/01/07
- - Thème: Diner du Crif
Lors de cette 22e édition du dîner du CRIF, en présence du Premier ministre, Dominique de Villepin, Roger Cukierman, le président du CRIF, a fait part de ses inquiétudes et ses souhaits dans son discours dont voici l’intégralité.
Monsieur le Premier ministre,
Madame l’ancien Premier ministre,
Monsieur le Président du Sénat,
Monsieur le Président de l’Assemblée Nationale,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les Élus,
Monsieur le Maire de Paris,
Madame la Présidente de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah,
Messieurs les Représentants de l’Autorité de l’État,
Madame et Messieurs les Représentants des religions chrétienne, musulmane et juive,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs. Je salue particulièrement les
Ambassadeurs des pays musulmans : d’Egypte, de Jordanie, du Maroc, du Pakistan, et de Tunisie. Votre présence, ici, ce soir, aux côtés du nouvel ambassadeur d’Israël à Paris est un gage de paix.
Je salue aussi les invités venus d’Europe, d’Israël, du Maroc, et des États-Unis et notamment nos amis fidèles de l’American Jewish Committee conduits par un des dirigeants juifs les plus remarquables David Harris.
Bienvenue également au professeur Redeker, empêché d’exercer son métier depuis qu’il a fait l’objet d’une fatwa. J’espère, Monsieur Redeker, que vous pourrez à nouveau enseigner en toute liberté, tout en oeuvrant aux Temps Modernes sous la direction de Claude Lanzmann.
Bienvenue enfin aux élèves de l’École Maïmonide. J’ai tenu à votre présence comme un symbole de notre confiance dans l’avenir.
-----
Comme chacun sait, dans quelques mois, en mai 2007, le Président quittera ses fonctions… Il ne sera pas soumis à réélection… Non pour des raisons politiques, et ce n’est pas un scoop, mais parce que … les statuts du CRIF ne le permettent pas. Je parle, bien sûr, de la présidence du CRIF. « What else ? » « Quoi d’autre ? ».
Il en résulte, Monsieur le Premier ministre, que nous avons quelque chose en commun, imposée par les règles de la démocratie, la gestion d’une fin de mandat…
En décembre 2001, lors de mon premier discours, ici même, je lançais un cri d’alarme : « On crie mort aux Juifs sur les pavés de Paris ». Je dénonçais les incendies de synagogues, et les violences antisémites. Je ne souhaite à aucun de mes successeurs l’incompréhension qui régnait au début des années 2000.
C’était le temps des manifestations mélangeant l’hostilité aux Juifs à la haine contre Israël. C’était le temps de la plus grande vague d’actes antisémites en France depuis la 2ème Guerre mondiale. Mon vœu le plus cher est que nous puissions parler de ce temps au passé.
L’année suivante, j’évoquais une alliance brun, vert, rouge, et un antisionisme qui contribue à l’antisémitisme. Certains en ont été offensés. Si j’ai blessé certaines consciences, j’ai aussi contribué à une plus grande sensibilité aux conséquences de l’antisionisme. Et je salue les élus Verts, et communistes qui sont avec nous ce soir.
xxx
Au terme de ce parcours de 6 ans à la présidence du CRIF, je suis heureux de constater que toute la classe politique démocratique, de droite comme de gauche, est aujourd’hui mobilisée contre l’antisémitisme et le racisme. Et j’ai même la fierté de pouvoir citer dans les réunions internationales, la France, comme un modèle dans la lutte contre l’antisémitisme.
Ce fléau de l’antisémitisme ne doit, en aucun cas, être tenu pour une expression parmi d’autres d’une violence banale. L’antisémitisme est un phénomène à part, qui a son histoire propre, son horrible unicité. Pour quiconque a conscience de l’Histoire, une menace contre les Juifs apparaît comme l’avertissement d’une menace contre l’idée même d’humanité.
Les Justes de la deuxième guerre mondiale l’avaient compris. A l’initiative si judicieuse de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, le Président de la République vient d’honorer leur lucidité et leur courage, par une cérémonie extrêmement émouvante au Panthéon, une cérémonie d’une très grande dignité, à la hauteur de l’événement. Un événement dans le droit fil de la déclaration historique du Président de la République Jacques Chirac le 16 Juillet 1995. Dans le même esprit pédagogique, nous sommes très attachés à la réalisation rapide du projet de musée du camp des « Milles », seul camp d’internement de la zone libre encore intact.
Je remercie les dirigeants de la nation, les élus, ainsi que tous les citoyens qui mènent sans relâche, avec nous, le combat contre l’antisémitisme. Je remercie
aussi les élus des instances du CRIF et notre équipe de permanents. Ensemble, nous nous sommes attachés à relever les défis de ces années difficiles, et à faire en sorte que le CRIF partage avec la société française nos émotions et nos préoccupations.
XXX
Le nombre d’actes et menaces antisémites enregistrés en 2006 est inférieur d’un tiers au pic atteint en 2004. Mais ce niveau, huit fois supérieur au niveau des années 1990, reste inacceptable.
Nous ne devrons jamais oublier qu’il y a eu mort d’hommes en 2006. Je salue la présence parmi nous ce soir de la maman d’Ilan Halimi. Nous n’oublierons pas votre fils, Madame Halimi, votre fils torturé pendant 23 jours, assassiné parce que Juif, assassiné parce que les Juifs sont réputés riches. Quelle dérision que ce préjugé pour les dizaines de milliers de Juifs qui, comme tant d’autres Français, vivent en dessous du seuil de pauvreté !
Nous n’oublierons pas non plus d’autres victimes du racisme : le gendarme Raphaël Clin tué à Saint-Martin, et Chaib Zehaf tué près de Lyon.
Nous n’oublierons pas, enfin, la meute d’une centaine de hooligans sur le point de lyncher un jeune Juif à la sortie d’un match de football. Ce jeune Juif fut sauvé par l’intervention courageuse d’un policier, Antoine Granomort, traité de « sale nègre » lorsqu’il s’interposa. Malheureusement, et nous le regrettons, ce déchaînement se termina par une mort d’homme.
XXX
Mes discours expriment, année après année, les mêmes sujets d’inquiétude et les mêmes aspirations tant pour la France que pour les relations entre la France et Israël.
Par exemple, vous savez, Monsieur le Premier Ministre, qu’un cinquième de la population israélienne est francophone. Quand donc l’Etat d’Israël sera-t-il enfin admis au sein de l’Organisation Mondiale de la Francophonie ? Son Secrétaire Général, Monsieur Abdou Diouf, nous a dit y être favorable. La France joue un rôle prépondérant dans cette organisation, par son prestige et par le financement de 80 % de son budget. Ne peut-elle imposer cette décision aux rares opposants qui sont les débiteurs de notre pays à bien des égards ?
Nous venons de lancer une pétition en vue de l’entrée d’Israël dans la Francophonie. Vous-même, Monsieur le Premier ministre, avez adhéré au principe de cette demande. Monsieur le Premier ministre, vous êtes, parmi tous ceux qui se sont exprimés sur ce sujet, le seul à détenir le pouvoir de donner à cette pétition la suite qu’elle mérite.
Sur un autre plan, pouvons-nous espérer que la France devienne enfin la première grande puissance à reconnaître un fait réel : Jérusalem est la capitale de l’Etat d’Israël. Lorsque de Gaulle a reconnu la Chine, le prestige de la France s’en est trouvé grandi. Cette reconnaissance renforcerait la place que la France peut et doit jouer dans cette région. Jérusalem n’est pas pour nous l’objet d’une affection de circonstance. Jérusalem est la capitale de l’identité juive depuis des millénaires.
XXX
Les relations franco-israéliennes se sont améliorées ces dernières années. Cela s’est traduit notamment par la création d’une Fondation France Israël dont on pourrait seulement souhaiter qu’elle fût dotée de moyens matériels et humains plus conformes aux ambitions affichées.
Nous continuons d’espérer que les peuples israélien et palestinien trouveront enfin le chemin de la paix et de la compréhension mutuelle.
Mais la victoire électorale du Hamas a ruiné les espoirs des plus optimistes. L’article 7 de la charte du Hamas appelle au meurtre du « Yahoud ». Comment faire la paix avec quelqu’un qui souhaite votre disparition ? L’éradication de la haine est le préalable essentiel à la paix.
C’est de Gaza et du sud Liban que sont parties les agressions de l’été dernier alors que ces territoires étaient précisément ceux qu’Israël avait évacués. Malheureusement, chaque retrait israélien a été interprété comme un signe de faiblesse.
XXX
N’oublions pas que l’incursion du Hezbollah en territoire israélien le 12 juillet 2006 avait entraîné la mort de 8 soldats israéliens, le début d’un déluge de missiles sur le nord d’Israël, et l’enlèvement de deux soldats. La France doit œuvrer à la libération de ces otages, comme à celle du franco-israélien Guilad Shalit.
Les dirigeants israéliens avaient été élus pour poursuivre sur la voie des retraits initiée par Ariel Sharon. Ils avaient même réduit les budgets militaires.
L’Iran, via son bras armé le Hezbollah, en a décidé autrement.
La France, amie fidèle du Liban, a su exprimer sa solidarité au peuple libanais pour les pertes humaines et physiques endurées lors de ce conflit. La France, également amie d’Israël, se devait d’exprimer, aussi, sa solidarité aux victimes israéliennes. Ce fut fait, avec un peu moins de visibilité, mais ce fut fait.
Le Hezbollah reste une organisation infréquentable. Comment oublier l’attentat du Hezbollah contre le Drakkar à Beyrouth qui coûta la vie à 58 soldats français, ou l’assassinat de l’Ambassadeur Louis Delamare, ou celui de l’otage Michel Seurat ? Qui ne voit l’action menée par le Hezbollah depuis des années pour détruire l’indépendance libanaise ?
Aujourd’hui, des voix s’élèvent contre le survol du territoire libanais par des avions israéliens munis de caméras. Mais ces voix sont muettes sur l’inaction de la Finul concernant la libération des otages israéliens, l’interdiction de la contrebande d’arme, et le désarmement du Hezbollah. Ce sont pourtant les missions fixées par l’ONU. Elles seules donnent un sens à la présence de la Finul au Sud Liban.
xxxxxxxxxxxxxxxxxx
Monsieur le Premier ministre, j’ai le souvenir de votre émotion un 16 juillet, place des Martyrs du Vél d’Hiv, à la lecture d’une lettre jetée par un enfant d’un convoi parti de Drancy.
J’aurais pu être cet enfant. J’avais six ans. J’ai le souvenir de ma mère me prévenant : « Si la police arrive, tu me dis au revoir madame et tu pars en courant. »
J’ai le souvenir de la seule gifle que j’aie reçue de mon père. Ce fut lorsque je lui ai dit que je ne m’appelais pas Roger Fabre, contrairement à ce qu’il voulait absolument m’imposer, mais Roger Cukierman.
J’ai aussi le souvenir de mon père me confiant, peu après, aux bonnes sœurs qui ont sauvé ma vie au péril de la leur. J’ai pour elles une immense reconnaissance.
Je n’ai pas le souvenir de mes grands parents, de mes oncles, de mes tantes, de mes cousins, de mes cousines. Je ne les ai pas connus. Tout ce que je sais d’eux c’est qu’ils ont disparu, sans sépulture, dans la chambre à gaz et le four crématoire de Treblinka.
Leur sort aurait-il pu être différent ?
Oui, si nos dirigeants n’avaient pas été naïfs.
Oui, si Daladier et Chamberlain avaient cru ce que Hitler annonçait dans Mein Kampf.
Oui, s’ils avaient compris qu’il y a des moments dans l’Histoire où il faut savoir dire non.
André Chouraqui écrivait : « C’est l’amour en cet être ineffable que j’ai découvert dans chaque psaume de la Bible, chaque verset des Évangiles, chaque sourate du Coran, un chant égal d’unité et d’amour ». Cette idée que l’Islam est une religion d’amour n’est pas partagée par les dirigeants iraniens. L’idéologie de l’islamisme radical, est celle de l’apocalypse. « Nous adorons la mort autant que les occidentaux aiment la vie » disent-ils. Car cette jubilation mortifère leur ouvrirait les portes du paradis.
Au nom du Dieu commun à toutes les religions monothéistes, le président iranien veut supprimer tout un peuple de la face de la terre.
XXX
Voilà un pays l’Iran qui, au mépris de la mémoire meurtrie du peuple juif, et de la vérité historique, organise un symposium négationniste mondial à Téhéran! Monsieur le Premier ministre, quel peuple au monde peut vivre avec comme mémoire, l’histoire de sa destruction et, comme perspective d’avenir, l’anéantissement de ce qui a été reconstruit ?
Et je ne peux que constater l’inaction, ou à tout le moins l’inefficacité de l’ONU, à propos du négationnisme, comme à propos des massacres innommables commis au Darfour et en d’autres lieux.
Monsieur le Premier ministre, le 27 janvier sera commémorée la journée mondiale de la Shoah, et de prévention des crimes contre l’humanité. La France s’honorerait si, ce jour-là, elle convoquait solennellement l’ambassadeur d’Iran, et si elle rappelait à Paris son ambassadeur. Elle pourrait suggérer, à ses partenaires européens, une initiative identique.
XXX
Le CRIF a commandé en novembre 2006 un sondage à la Sofres. Ce sondage montre que 80 % des Français prennent au sérieux la menace iranienne. Et, 66 % des personnes sondées redoutent le danger nucléaire iranien pour le territoire français. Oui, les missiles iraniens peuvent viser les Européens, accusés d’être des impies, des « croisés ».
L’empire persan est le rival du monde arabe depuis des siècles. Les dirigeants iraniens, qu’il importe de ne pas confondre avec le peuple iranien, rêvent d’imposer au monde arabe le chiisme, pratiqué par seulement 15 % des Musulmans. Aussi, les États arabes modérés sont-ils sans doute encore plus menacés que les pays réputés en possession d’un bouclier nucléaire.
Y a-t-il plus grand danger pour l’avenir de notre planète que la prolifération nucléaire ?
XXX
On ne peut pas saluer comme un événement positif la décision unanime du Conseil de Sécurité, votée fin 2006, d’adopter des sanctions contre l’Iran, car ces sanctions sont timorées, édulcorées, inefficaces, pour tout dire inopérantes. Cette unanimité incluait la Russie et la Chine, les plus gros clients et fournisseurs de l’Iran. Or la Chine annonçait simultanément des investissements de 16 milliards de dollars dans le gisement d’hydrocarbures de Pars.
Parallèlement des sociétés françaises comme Total, Renault, Peugeot, et BNP développent leurs affaires en Iran. On ne peut pas le leur reprocher alors que nulle voix autorisée, nulle autorité politique ne leur a demandé de mettre en balance l’intérêt mercantile et le danger d’une guerre atomique.
C’est aux dirigeants des pays occidentaux qu’il incombe de prendre seuls, sans la Chine, sans la Russie, des sanctions sévères, seules susceptibles d’amener l’Iran à la raison.
XXX
Nos démocraties, par lâchetés successives, ont autrefois reculé devant la menace. Le mot de Churchill conserve toute sa pertinence : « Vous aviez à choisir entre la guerre et le déshonneur. Vous avez choisi le déshonneur, et vous aurez la guerre. »
L’analogie entre Hitler et Ahmadinejad s’impose d’évidence. Les images d’hier sont en noir et blanc. C’est la seule différence avec celles, en couleur, prises à Téhéran aujourd’hui. Les fantasmes, les calomnies, les élucubrations sont les mêmes.
Les Européens seraient-ils amnésiques ? Serons nous la génération ivre qui aura pensé que sans Israël ce monde chaotique tournerait mieux ? Serons nous la génération qui n’aura rien appris ?
J’ose espérer que c’est la France que j’aime qui l’emportera, celle du 18 juin, celle du courage, celle de la Résistance.
XXX
Monsieur le Premier ministre, c’est avec gravité, avec une profonde conviction que je vous lance cet appel. Je le lance également aux candidats à l’élection présidentielle. Le serment « plus jamais ça » apparaît comme une vaine figure rhétorique. Car « ça » est en marche.
Le destin du monde dépend de la réponse que vous, et vos collègues, qui dirigez les grandes nations d’Occident, saurez donner à la folie destructrice annoncée par le nouvel Hitler !
XXX
Comme l’a dit le penseur irlandais Edmund Burke : « Pour que le mal triomphe, il suffit que les hommes de bien ne fassent rien. » Monsieur le Premier ministre, agissez !
Dans quelques mois, la France élira le nouveau Président de la République. Bien entendu le CRIF restera neutre, et ne donnera aucune consigne, si ce n’est d’aller voter, et de ne pas contribuer à la banalisation des idées xénophobes.
Je suis sûr que celui ou celle qui sortira vainqueur de cette élection, aura à cœur de continuer le combat pour les valeurs morales qui font la grandeur de notre pays.
Je suis fier d’être Français. Au cours de mon mandat à la présidence du CRIF, j’ai ajouté à ma fierté un nouveau motif : l’unanimité, la vigueur, et la détermination de tous ceux qui aiment la République à refuser l’antisémitisme.
Je souhaite pouvoir ajouter un nouveau motif de fierté : l’ambition et la fermeté de la France dans le concert des nations pour empêcher l’Iran de se doter de l’arme atomique et pour apporter la paix au Proche Orient.
Vive la République !
24/01/07
- - Thème: Diner du Crif
Lors de cette 22e édition du dîner du CRIF, en présence du Premier ministre, Dominique de Villepin, Roger Cukierman, le président du CRIF, a fait part de ses inquiétudes et ses souhaits dans son discours dont voici l’intégralité.
Monsieur le Premier ministre,
Madame l’ancien Premier ministre,
Monsieur le Président du Sénat,
Monsieur le Président de l’Assemblée Nationale,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les Élus,
Monsieur le Maire de Paris,
Madame la Présidente de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah,
Messieurs les Représentants de l’Autorité de l’État,
Madame et Messieurs les Représentants des religions chrétienne, musulmane et juive,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs. Je salue particulièrement les
Ambassadeurs des pays musulmans : d’Egypte, de Jordanie, du Maroc, du Pakistan, et de Tunisie. Votre présence, ici, ce soir, aux côtés du nouvel ambassadeur d’Israël à Paris est un gage de paix.
Je salue aussi les invités venus d’Europe, d’Israël, du Maroc, et des États-Unis et notamment nos amis fidèles de l’American Jewish Committee conduits par un des dirigeants juifs les plus remarquables David Harris.
Bienvenue également au professeur Redeker, empêché d’exercer son métier depuis qu’il a fait l’objet d’une fatwa. J’espère, Monsieur Redeker, que vous pourrez à nouveau enseigner en toute liberté, tout en oeuvrant aux Temps Modernes sous la direction de Claude Lanzmann.
Bienvenue enfin aux élèves de l’École Maïmonide. J’ai tenu à votre présence comme un symbole de notre confiance dans l’avenir.
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Comme chacun sait, dans quelques mois, en mai 2007, le Président quittera ses fonctions… Il ne sera pas soumis à réélection… Non pour des raisons politiques, et ce n’est pas un scoop, mais parce que … les statuts du CRIF ne le permettent pas. Je parle, bien sûr, de la présidence du CRIF. « What else ? » « Quoi d’autre ? ».
Il en résulte, Monsieur le Premier ministre, que nous avons quelque chose en commun, imposée par les règles de la démocratie, la gestion d’une fin de mandat…
En décembre 2001, lors de mon premier discours, ici même, je lançais un cri d’alarme : « On crie mort aux Juifs sur les pavés de Paris ». Je dénonçais les incendies de synagogues, et les violences antisémites. Je ne souhaite à aucun de mes successeurs l’incompréhension qui régnait au début des années 2000.
C’était le temps des manifestations mélangeant l’hostilité aux Juifs à la haine contre Israël. C’était le temps de la plus grande vague d’actes antisémites en France depuis la 2ème Guerre mondiale. Mon vœu le plus cher est que nous puissions parler de ce temps au passé.
L’année suivante, j’évoquais une alliance brun, vert, rouge, et un antisionisme qui contribue à l’antisémitisme. Certains en ont été offensés. Si j’ai blessé certaines consciences, j’ai aussi contribué à une plus grande sensibilité aux conséquences de l’antisionisme. Et je salue les élus Verts, et communistes qui sont avec nous ce soir.
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Au terme de ce parcours de 6 ans à la présidence du CRIF, je suis heureux de constater que toute la classe politique démocratique, de droite comme de gauche, est aujourd’hui mobilisée contre l’antisémitisme et le racisme. Et j’ai même la fierté de pouvoir citer dans les réunions internationales, la France, comme un modèle dans la lutte contre l’antisémitisme.
Ce fléau de l’antisémitisme ne doit, en aucun cas, être tenu pour une expression parmi d’autres d’une violence banale. L’antisémitisme est un phénomène à part, qui a son histoire propre, son horrible unicité. Pour quiconque a conscience de l’Histoire, une menace contre les Juifs apparaît comme l’avertissement d’une menace contre l’idée même d’humanité.
Les Justes de la deuxième guerre mondiale l’avaient compris. A l’initiative si judicieuse de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, le Président de la République vient d’honorer leur lucidité et leur courage, par une cérémonie extrêmement émouvante au Panthéon, une cérémonie d’une très grande dignité, à la hauteur de l’événement. Un événement dans le droit fil de la déclaration historique du Président de la République Jacques Chirac le 16 Juillet 1995. Dans le même esprit pédagogique, nous sommes très attachés à la réalisation rapide du projet de musée du camp des « Milles », seul camp d’internement de la zone libre encore intact.
Je remercie les dirigeants de la nation, les élus, ainsi que tous les citoyens qui mènent sans relâche, avec nous, le combat contre l’antisémitisme. Je remercie
aussi les élus des instances du CRIF et notre équipe de permanents. Ensemble, nous nous sommes attachés à relever les défis de ces années difficiles, et à faire en sorte que le CRIF partage avec la société française nos émotions et nos préoccupations.
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Le nombre d’actes et menaces antisémites enregistrés en 2006 est inférieur d’un tiers au pic atteint en 2004. Mais ce niveau, huit fois supérieur au niveau des années 1990, reste inacceptable.
Nous ne devrons jamais oublier qu’il y a eu mort d’hommes en 2006. Je salue la présence parmi nous ce soir de la maman d’Ilan Halimi. Nous n’oublierons pas votre fils, Madame Halimi, votre fils torturé pendant 23 jours, assassiné parce que Juif, assassiné parce que les Juifs sont réputés riches. Quelle dérision que ce préjugé pour les dizaines de milliers de Juifs qui, comme tant d’autres Français, vivent en dessous du seuil de pauvreté !
Nous n’oublierons pas non plus d’autres victimes du racisme : le gendarme Raphaël Clin tué à Saint-Martin, et Chaib Zehaf tué près de Lyon.
Nous n’oublierons pas, enfin, la meute d’une centaine de hooligans sur le point de lyncher un jeune Juif à la sortie d’un match de football. Ce jeune Juif fut sauvé par l’intervention courageuse d’un policier, Antoine Granomort, traité de « sale nègre » lorsqu’il s’interposa. Malheureusement, et nous le regrettons, ce déchaînement se termina par une mort d’homme.
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Mes discours expriment, année après année, les mêmes sujets d’inquiétude et les mêmes aspirations tant pour la France que pour les relations entre la France et Israël.
Par exemple, vous savez, Monsieur le Premier Ministre, qu’un cinquième de la population israélienne est francophone. Quand donc l’Etat d’Israël sera-t-il enfin admis au sein de l’Organisation Mondiale de la Francophonie ? Son Secrétaire Général, Monsieur Abdou Diouf, nous a dit y être favorable. La France joue un rôle prépondérant dans cette organisation, par son prestige et par le financement de 80 % de son budget. Ne peut-elle imposer cette décision aux rares opposants qui sont les débiteurs de notre pays à bien des égards ?
Nous venons de lancer une pétition en vue de l’entrée d’Israël dans la Francophonie. Vous-même, Monsieur le Premier ministre, avez adhéré au principe de cette demande. Monsieur le Premier ministre, vous êtes, parmi tous ceux qui se sont exprimés sur ce sujet, le seul à détenir le pouvoir de donner à cette pétition la suite qu’elle mérite.
Sur un autre plan, pouvons-nous espérer que la France devienne enfin la première grande puissance à reconnaître un fait réel : Jérusalem est la capitale de l’Etat d’Israël. Lorsque de Gaulle a reconnu la Chine, le prestige de la France s’en est trouvé grandi. Cette reconnaissance renforcerait la place que la France peut et doit jouer dans cette région. Jérusalem n’est pas pour nous l’objet d’une affection de circonstance. Jérusalem est la capitale de l’identité juive depuis des millénaires.
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Les relations franco-israéliennes se sont améliorées ces dernières années. Cela s’est traduit notamment par la création d’une Fondation France Israël dont on pourrait seulement souhaiter qu’elle fût dotée de moyens matériels et humains plus conformes aux ambitions affichées.
Nous continuons d’espérer que les peuples israélien et palestinien trouveront enfin le chemin de la paix et de la compréhension mutuelle.
Mais la victoire électorale du Hamas a ruiné les espoirs des plus optimistes. L’article 7 de la charte du Hamas appelle au meurtre du « Yahoud ». Comment faire la paix avec quelqu’un qui souhaite votre disparition ? L’éradication de la haine est le préalable essentiel à la paix.
C’est de Gaza et du sud Liban que sont parties les agressions de l’été dernier alors que ces territoires étaient précisément ceux qu’Israël avait évacués. Malheureusement, chaque retrait israélien a été interprété comme un signe de faiblesse.
XXX
N’oublions pas que l’incursion du Hezbollah en territoire israélien le 12 juillet 2006 avait entraîné la mort de 8 soldats israéliens, le début d’un déluge de missiles sur le nord d’Israël, et l’enlèvement de deux soldats. La France doit œuvrer à la libération de ces otages, comme à celle du franco-israélien Guilad Shalit.
Les dirigeants israéliens avaient été élus pour poursuivre sur la voie des retraits initiée par Ariel Sharon. Ils avaient même réduit les budgets militaires.
L’Iran, via son bras armé le Hezbollah, en a décidé autrement.
La France, amie fidèle du Liban, a su exprimer sa solidarité au peuple libanais pour les pertes humaines et physiques endurées lors de ce conflit. La France, également amie d’Israël, se devait d’exprimer, aussi, sa solidarité aux victimes israéliennes. Ce fut fait, avec un peu moins de visibilité, mais ce fut fait.
Le Hezbollah reste une organisation infréquentable. Comment oublier l’attentat du Hezbollah contre le Drakkar à Beyrouth qui coûta la vie à 58 soldats français, ou l’assassinat de l’Ambassadeur Louis Delamare, ou celui de l’otage Michel Seurat ? Qui ne voit l’action menée par le Hezbollah depuis des années pour détruire l’indépendance libanaise ?
Aujourd’hui, des voix s’élèvent contre le survol du territoire libanais par des avions israéliens munis de caméras. Mais ces voix sont muettes sur l’inaction de la Finul concernant la libération des otages israéliens, l’interdiction de la contrebande d’arme, et le désarmement du Hezbollah. Ce sont pourtant les missions fixées par l’ONU. Elles seules donnent un sens à la présence de la Finul au Sud Liban.
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Monsieur le Premier ministre, j’ai le souvenir de votre émotion un 16 juillet, place des Martyrs du Vél d’Hiv, à la lecture d’une lettre jetée par un enfant d’un convoi parti de Drancy.
J’aurais pu être cet enfant. J’avais six ans. J’ai le souvenir de ma mère me prévenant : « Si la police arrive, tu me dis au revoir madame et tu pars en courant. »
J’ai le souvenir de la seule gifle que j’aie reçue de mon père. Ce fut lorsque je lui ai dit que je ne m’appelais pas Roger Fabre, contrairement à ce qu’il voulait absolument m’imposer, mais Roger Cukierman.
J’ai aussi le souvenir de mon père me confiant, peu après, aux bonnes sœurs qui ont sauvé ma vie au péril de la leur. J’ai pour elles une immense reconnaissance.
Je n’ai pas le souvenir de mes grands parents, de mes oncles, de mes tantes, de mes cousins, de mes cousines. Je ne les ai pas connus. Tout ce que je sais d’eux c’est qu’ils ont disparu, sans sépulture, dans la chambre à gaz et le four crématoire de Treblinka.
Leur sort aurait-il pu être différent ?
Oui, si nos dirigeants n’avaient pas été naïfs.
Oui, si Daladier et Chamberlain avaient cru ce que Hitler annonçait dans Mein Kampf.
Oui, s’ils avaient compris qu’il y a des moments dans l’Histoire où il faut savoir dire non.
André Chouraqui écrivait : « C’est l’amour en cet être ineffable que j’ai découvert dans chaque psaume de la Bible, chaque verset des Évangiles, chaque sourate du Coran, un chant égal d’unité et d’amour ». Cette idée que l’Islam est une religion d’amour n’est pas partagée par les dirigeants iraniens. L’idéologie de l’islamisme radical, est celle de l’apocalypse. « Nous adorons la mort autant que les occidentaux aiment la vie » disent-ils. Car cette jubilation mortifère leur ouvrirait les portes du paradis.
Au nom du Dieu commun à toutes les religions monothéistes, le président iranien veut supprimer tout un peuple de la face de la terre.
XXX
Voilà un pays l’Iran qui, au mépris de la mémoire meurtrie du peuple juif, et de la vérité historique, organise un symposium négationniste mondial à Téhéran! Monsieur le Premier ministre, quel peuple au monde peut vivre avec comme mémoire, l’histoire de sa destruction et, comme perspective d’avenir, l’anéantissement de ce qui a été reconstruit ?
Et je ne peux que constater l’inaction, ou à tout le moins l’inefficacité de l’ONU, à propos du négationnisme, comme à propos des massacres innommables commis au Darfour et en d’autres lieux.
Monsieur le Premier ministre, le 27 janvier sera commémorée la journée mondiale de la Shoah, et de prévention des crimes contre l’humanité. La France s’honorerait si, ce jour-là, elle convoquait solennellement l’ambassadeur d’Iran, et si elle rappelait à Paris son ambassadeur. Elle pourrait suggérer, à ses partenaires européens, une initiative identique.
XXX
Le CRIF a commandé en novembre 2006 un sondage à la Sofres. Ce sondage montre que 80 % des Français prennent au sérieux la menace iranienne. Et, 66 % des personnes sondées redoutent le danger nucléaire iranien pour le territoire français. Oui, les missiles iraniens peuvent viser les Européens, accusés d’être des impies, des « croisés ».
L’empire persan est le rival du monde arabe depuis des siècles. Les dirigeants iraniens, qu’il importe de ne pas confondre avec le peuple iranien, rêvent d’imposer au monde arabe le chiisme, pratiqué par seulement 15 % des Musulmans. Aussi, les États arabes modérés sont-ils sans doute encore plus menacés que les pays réputés en possession d’un bouclier nucléaire.
Y a-t-il plus grand danger pour l’avenir de notre planète que la prolifération nucléaire ?
XXX
On ne peut pas saluer comme un événement positif la décision unanime du Conseil de Sécurité, votée fin 2006, d’adopter des sanctions contre l’Iran, car ces sanctions sont timorées, édulcorées, inefficaces, pour tout dire inopérantes. Cette unanimité incluait la Russie et la Chine, les plus gros clients et fournisseurs de l’Iran. Or la Chine annonçait simultanément des investissements de 16 milliards de dollars dans le gisement d’hydrocarbures de Pars.
Parallèlement des sociétés françaises comme Total, Renault, Peugeot, et BNP développent leurs affaires en Iran. On ne peut pas le leur reprocher alors que nulle voix autorisée, nulle autorité politique ne leur a demandé de mettre en balance l’intérêt mercantile et le danger d’une guerre atomique.
C’est aux dirigeants des pays occidentaux qu’il incombe de prendre seuls, sans la Chine, sans la Russie, des sanctions sévères, seules susceptibles d’amener l’Iran à la raison.
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Nos démocraties, par lâchetés successives, ont autrefois reculé devant la menace. Le mot de Churchill conserve toute sa pertinence : « Vous aviez à choisir entre la guerre et le déshonneur. Vous avez choisi le déshonneur, et vous aurez la guerre. »
L’analogie entre Hitler et Ahmadinejad s’impose d’évidence. Les images d’hier sont en noir et blanc. C’est la seule différence avec celles, en couleur, prises à Téhéran aujourd’hui. Les fantasmes, les calomnies, les élucubrations sont les mêmes.
Les Européens seraient-ils amnésiques ? Serons nous la génération ivre qui aura pensé que sans Israël ce monde chaotique tournerait mieux ? Serons nous la génération qui n’aura rien appris ?
J’ose espérer que c’est la France que j’aime qui l’emportera, celle du 18 juin, celle du courage, celle de la Résistance.
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Monsieur le Premier ministre, c’est avec gravité, avec une profonde conviction que je vous lance cet appel. Je le lance également aux candidats à l’élection présidentielle. Le serment « plus jamais ça » apparaît comme une vaine figure rhétorique. Car « ça » est en marche.
Le destin du monde dépend de la réponse que vous, et vos collègues, qui dirigez les grandes nations d’Occident, saurez donner à la folie destructrice annoncée par le nouvel Hitler !
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Comme l’a dit le penseur irlandais Edmund Burke : « Pour que le mal triomphe, il suffit que les hommes de bien ne fassent rien. » Monsieur le Premier ministre, agissez !
Dans quelques mois, la France élira le nouveau Président de la République. Bien entendu le CRIF restera neutre, et ne donnera aucune consigne, si ce n’est d’aller voter, et de ne pas contribuer à la banalisation des idées xénophobes.
Je suis sûr que celui ou celle qui sortira vainqueur de cette élection, aura à cœur de continuer le combat pour les valeurs morales qui font la grandeur de notre pays.
Je suis fier d’être Français. Au cours de mon mandat à la présidence du CRIF, j’ai ajouté à ma fierté un nouveau motif : l’unanimité, la vigueur, et la détermination de tous ceux qui aiment la République à refuser l’antisémitisme.
Je souhaite pouvoir ajouter un nouveau motif de fierté : l’ambition et la fermeté de la France dans le concert des nations pour empêcher l’Iran de se doter de l’arme atomique et pour apporter la paix au Proche Orient.
Vive la République !
1 Comments:
Mon seul et unique commentaire sera celui-ci: on peut faire de beaux discours, défendre une cause qui pourrait être noble et être un imbécile!Sachez monsieur Cukerman que l'on peut être pro-palestinien et ne pas être antisémite!!On peut même porter un patronyme juif et être pro-palestinien. Qu'est-ce Israël ? Un pays comme un autre, un pays colonialiste en l'occurence, qu'on ne peut donc défendre.
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