"La Turquie, une chance", par P. Besnainou, Président du Congrès Juif Européen
Publié le 15 février 2007
15 février 2007 - Par Pierre Besnainou, Président du Congrès Juif Européen
Le monde musulman mérite un porte-parole plus respectable que la voix extrémiste et haineuse du Président Ahmadinejad. Depuis près d’un demi-siècle, le monde musulman a connu diverses tentatives d’unification : le nationalisme issu de la décolonisation, le panarabisme de Khadafi, Nasser ou Saddam Hussein et plus récemment le radicalisme islamique dans sa version sunnite avec Al Qaida et dans sa version chiite avec la République Islamique d’Iran.
Nous sommes donc passés insensiblement du rêve d’une unité du monde arabo-musulman à l’utopie d’une unité du monde musulman dans sa globalité fédérant l’Oumma, la communauté des croyants. Aujourd’hui un homme prétend incarner cette unité, il s’agit du Président Ahmadinejad, qui appartient pourtant à un courant minoritaire au sein de l’Islam : le chiisme. Mais là n’est pas le plus grave. Le discours développé par le leader persan, centré autour de la notion de Jihad « Guerre Sainte » relève d’une violence sans précédent à l’égard de l’occident et naturellement des Etats-Unis et d’Israël dont il s’est promis la disparition. Cette rhétorique guerrière est perçue comme une menace jusqu’au sein même du monde musulman, les régimes modérés craignant la constitution d’un croissant chiite au Moyen-Orient qui pourrait être une redoutable force de déstabilisation. Nous le voyons au Liban avec la contestation orchestrée depuis plusieurs mois par le Hezbollah.
Or, à la frontière iranienne, au carrefour de l’Occident et de l’Orient, la Turquie parvient à conjuguer tradition et modernité avec un équilibre subtil. Pétrie d’une culture musulmane multiséculaire, la société turque semble avoir réussi très tôt sa transition vers la modernité en s’appropriant les valeurs occidentales : la laïcité, la liberté d’opinion et de croyance, et, bien sûr, la démocratie. La Turquie est aujourd’hui un pays unique dont les contradictions apparentes sont autant d’atouts pour affronter les défis de demain. Voilà un pays qui fait exception à toutes les théories selon lesquelles l’Islam est incompatible avec la démocratie. Au contraire tout en affirmant sans ambages sa culture musulmane, la Turquie parvient à assurer un Etat de droit à l’image des démocraties occidentales.
Une autre boussole du degré d’ouverture des sociétés musulmanes consiste à regarder les relations entretenues par leurs gouvernements avec les Etats-Unis d’une part, et avec Israël d’autre part. Même si le gouvernement d’Ankara s’était opposé en 2003 à l’utilisation de son territoire par la coalition anglo-américaine, le partenariat avec les Etats-Unis est solide et d’une importance stratégique fondamentale.
Par ailleurs, faut-il le rappeler, la Turquie a été le premier pays musulman à reconnaître Israël en 1949, et pendant trente ans le seul. Depuis plusieurs années, la Turquie est devenue un partenaire stratégique essentiel de la politique étrangère israélienne. Ce partenariat repose sur plusieurs piliers : une alliance militaire solide, une préoccupation commune pour lutter contre le terrorisme, des accords commerciaux dynamiques, notamment sur la question très sensible de l’eau, sans oublier que la péninsule Anatolienne est une destination touristique très prisée des Israéliens.
D’aucuns ont cru que l’accession au pouvoir du Parti pour la Justice et le Développement, issu de la mouvance islamiste, donnerait un coup d’arrêt à ce partenariat. Au contraire, après plusieurs années d’exercice du pouvoir, il faut admettre que l’alliance israélo turque est toujours aussi dynamique. Certes, le discours ou le ton ont parfois changé, mais aucune modification substantielle de la politique turque n’est intervenue. En 2005, le ministre des affaires étrangères Abdullah Gul était allé en Israël afin de consolider les relations bilatérales, et, quelques mois plus tard, c’était au tour du premier ministre Erdogan de se rendre en Israël et rappeler l’amitié de son pays à l’égard de l’Etat hébreu
Lors de ma récente visite à Ankara, j’ai fait part au Premier Ministre Erdogan de ma conviction qu’il a un rôle de premier plan à jouer au Moyen-Orient. Respecté par l’ensemble des pays musulmans, depuis les monarchies du Golfe jusqu’aux Etats d’Asie Centrale et Orientale, des islamistes du Hamas aux Palestiniens modérés, la Turquie est également un partenaire solide et confiant des Etats-Unis et d’Israël. Elle possède donc la légitimité de pouvoir dialoguer avec tous les acteurs influents de la région. Ce positionnement fait de la Turquie, un leader régional naturel en lieu et place de l’influence néfaste de l’Iran. Le premier ministre Erdogan qui partage cette analyse est, sans aucun doute, disposé à œuvrer pleinement pour le rapprochement entre Palestiniens et Israéliens. Il nous appartient maintenant de prêter une oreille attentive à ce discours d’amitié et de mesurer à sa juste valeur le rôle que peut jouer la Turquie dans le processus de paix. Il amènerait enfin un affaiblissement significatif du pouvoir du Président Ahmadinejad, lui faisant perdre son leadership et soutenant la contestation d’une partie du peuple iranien.
Voilà pourquoi le voyage du Premier Ministre Ehoud Olmert à Ankara est particulièrement important. Il peut permettre à la Turquie d’émerger comme un acteur central au Moyen Orient, servant de modèle pour les sociétés musulmanes éprises de liberté, rappelant que l’Islam n’est pas incompatible avec la démocratie et, surtout, consolidant un partenariat stratégique avec l’Etat hébreu.
Voilà également pourquoi, pour l’Union Européenne, le rapprochement avec la Turquie permettrait de consolider une démocratie dans cette région du monde où elle est une valeur bien rare, d’étendre la sphère d’influence de l’Europe à une aire géostratégique centrale et d’endiguer la contagion du radicalisme islamique.
Evidemment, ce n’est pas une démarche simple. Elle demande une vision politique audacieuse, du courage, et de la détermination. Mais ce n’est qu’à ce prix que nous parviendrons demain à mettre un grain de sable dans la logique qui prévaut actuellement, celle d’un affrontement des civilisations. Peut-être ce grain de sable sera-t-il porteur d’un vent nouveau qui soufflera demain au Moyen-Orient, apportant la liberté aux peuples, et faisant taire les armes. Qu’il me soit permis d’espérer que le prochain prix Nobel de la paix soit celui qui, au sein de l’Islam, a su faire barrage à la logique de la haine et du ressentiment, en apportant la lumière et la paix à une région depuis trop longtemps plongée dans l’obscurité de la violence.
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15 février 2007 - Par Pierre Besnainou, Président du Congrès Juif Européen
Le monde musulman mérite un porte-parole plus respectable que la voix extrémiste et haineuse du Président Ahmadinejad. Depuis près d’un demi-siècle, le monde musulman a connu diverses tentatives d’unification : le nationalisme issu de la décolonisation, le panarabisme de Khadafi, Nasser ou Saddam Hussein et plus récemment le radicalisme islamique dans sa version sunnite avec Al Qaida et dans sa version chiite avec la République Islamique d’Iran.
Nous sommes donc passés insensiblement du rêve d’une unité du monde arabo-musulman à l’utopie d’une unité du monde musulman dans sa globalité fédérant l’Oumma, la communauté des croyants. Aujourd’hui un homme prétend incarner cette unité, il s’agit du Président Ahmadinejad, qui appartient pourtant à un courant minoritaire au sein de l’Islam : le chiisme. Mais là n’est pas le plus grave. Le discours développé par le leader persan, centré autour de la notion de Jihad « Guerre Sainte » relève d’une violence sans précédent à l’égard de l’occident et naturellement des Etats-Unis et d’Israël dont il s’est promis la disparition. Cette rhétorique guerrière est perçue comme une menace jusqu’au sein même du monde musulman, les régimes modérés craignant la constitution d’un croissant chiite au Moyen-Orient qui pourrait être une redoutable force de déstabilisation. Nous le voyons au Liban avec la contestation orchestrée depuis plusieurs mois par le Hezbollah.
Or, à la frontière iranienne, au carrefour de l’Occident et de l’Orient, la Turquie parvient à conjuguer tradition et modernité avec un équilibre subtil. Pétrie d’une culture musulmane multiséculaire, la société turque semble avoir réussi très tôt sa transition vers la modernité en s’appropriant les valeurs occidentales : la laïcité, la liberté d’opinion et de croyance, et, bien sûr, la démocratie. La Turquie est aujourd’hui un pays unique dont les contradictions apparentes sont autant d’atouts pour affronter les défis de demain. Voilà un pays qui fait exception à toutes les théories selon lesquelles l’Islam est incompatible avec la démocratie. Au contraire tout en affirmant sans ambages sa culture musulmane, la Turquie parvient à assurer un Etat de droit à l’image des démocraties occidentales.
Une autre boussole du degré d’ouverture des sociétés musulmanes consiste à regarder les relations entretenues par leurs gouvernements avec les Etats-Unis d’une part, et avec Israël d’autre part. Même si le gouvernement d’Ankara s’était opposé en 2003 à l’utilisation de son territoire par la coalition anglo-américaine, le partenariat avec les Etats-Unis est solide et d’une importance stratégique fondamentale.
Par ailleurs, faut-il le rappeler, la Turquie a été le premier pays musulman à reconnaître Israël en 1949, et pendant trente ans le seul. Depuis plusieurs années, la Turquie est devenue un partenaire stratégique essentiel de la politique étrangère israélienne. Ce partenariat repose sur plusieurs piliers : une alliance militaire solide, une préoccupation commune pour lutter contre le terrorisme, des accords commerciaux dynamiques, notamment sur la question très sensible de l’eau, sans oublier que la péninsule Anatolienne est une destination touristique très prisée des Israéliens.
D’aucuns ont cru que l’accession au pouvoir du Parti pour la Justice et le Développement, issu de la mouvance islamiste, donnerait un coup d’arrêt à ce partenariat. Au contraire, après plusieurs années d’exercice du pouvoir, il faut admettre que l’alliance israélo turque est toujours aussi dynamique. Certes, le discours ou le ton ont parfois changé, mais aucune modification substantielle de la politique turque n’est intervenue. En 2005, le ministre des affaires étrangères Abdullah Gul était allé en Israël afin de consolider les relations bilatérales, et, quelques mois plus tard, c’était au tour du premier ministre Erdogan de se rendre en Israël et rappeler l’amitié de son pays à l’égard de l’Etat hébreu
Lors de ma récente visite à Ankara, j’ai fait part au Premier Ministre Erdogan de ma conviction qu’il a un rôle de premier plan à jouer au Moyen-Orient. Respecté par l’ensemble des pays musulmans, depuis les monarchies du Golfe jusqu’aux Etats d’Asie Centrale et Orientale, des islamistes du Hamas aux Palestiniens modérés, la Turquie est également un partenaire solide et confiant des Etats-Unis et d’Israël. Elle possède donc la légitimité de pouvoir dialoguer avec tous les acteurs influents de la région. Ce positionnement fait de la Turquie, un leader régional naturel en lieu et place de l’influence néfaste de l’Iran. Le premier ministre Erdogan qui partage cette analyse est, sans aucun doute, disposé à œuvrer pleinement pour le rapprochement entre Palestiniens et Israéliens. Il nous appartient maintenant de prêter une oreille attentive à ce discours d’amitié et de mesurer à sa juste valeur le rôle que peut jouer la Turquie dans le processus de paix. Il amènerait enfin un affaiblissement significatif du pouvoir du Président Ahmadinejad, lui faisant perdre son leadership et soutenant la contestation d’une partie du peuple iranien.
Voilà pourquoi le voyage du Premier Ministre Ehoud Olmert à Ankara est particulièrement important. Il peut permettre à la Turquie d’émerger comme un acteur central au Moyen Orient, servant de modèle pour les sociétés musulmanes éprises de liberté, rappelant que l’Islam n’est pas incompatible avec la démocratie et, surtout, consolidant un partenariat stratégique avec l’Etat hébreu.
Voilà également pourquoi, pour l’Union Européenne, le rapprochement avec la Turquie permettrait de consolider une démocratie dans cette région du monde où elle est une valeur bien rare, d’étendre la sphère d’influence de l’Europe à une aire géostratégique centrale et d’endiguer la contagion du radicalisme islamique.
Evidemment, ce n’est pas une démarche simple. Elle demande une vision politique audacieuse, du courage, et de la détermination. Mais ce n’est qu’à ce prix que nous parviendrons demain à mettre un grain de sable dans la logique qui prévaut actuellement, celle d’un affrontement des civilisations. Peut-être ce grain de sable sera-t-il porteur d’un vent nouveau qui soufflera demain au Moyen-Orient, apportant la liberté aux peuples, et faisant taire les armes. Qu’il me soit permis d’espérer que le prochain prix Nobel de la paix soit celui qui, au sein de l’Islam, a su faire barrage à la logique de la haine et du ressentiment, en apportant la lumière et la paix à une région depuis trop longtemps plongée dans l’obscurité de la violence.
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