Monday, April 16, 2007

les combats européens de pierre besnainou

By ELIAS LEVY
Reporter




Pierre Besnainou
À 52 ans, Pierre Besnainou est un homme tranquille et résolu qui incarne “la révolution sépharade”. Un “rattrapage”, plus qu’une “révolution”.

Né en Tunisie, ce leader affable, dynamique et visionnaire, qui a fait fortune dans la Netéconomie, est devenu en quelques années l’une des plus importantes figures des judaïsmes français et européen.

En juin 2005, il a été élu président du Congrès Juif Européen (C.J.E.), en battant l’Italien Cobi Benatoff, favori de la Communauté juive américaine et du président du Congrès Juif Mondial, Edgar Bronfman. En juin 2006, il a été élu président du Fonds Social Juif Unifié de France (F.S.J.U.), poumon financier de la Communauté juive de l’Hexagone. Les fonds collectés par le F.S.J.U. financent des œuvres sociales, éducatives et culturelles.

Fondé en 1986, Le C.J.E. fédère 38 Communautés juives vivant dans les 27 pays membres de l’Union Européenne, en Russie, en Ukraine et dans les autres anciennes Républiques de l’U.R.S.S. L’agenda du C.J.E. est purement politique.

Dans l’entrevue qu’il nous a accordée, Pierre Besnainou nous a livré ses impressions sur les grands défis auxquels font face les Juifs d’Europe.

Canadian Jewish News: Quels sont les dossiers prioritaires du C.J.E.?

Pierre Besnainou: Le C.J.E. a deux dossiers prioritaires: l’antisémitisme en Europe et les relations entre l’Union Européenne et l’État d’Israël. Le C.J.E. veut être un pont entre l’Europe et Israël, évidemment avec des crises plus ou moins tendues à certaines périodes, comme celle qui mobilise actuellement nos énergies et celles de toute la Communauté internationale: la crise avec l’Iran.

C.J.N.: Le C.J.E. a-t-il entrepris des actions concrètes contre l’Iran?

P. Besnainou: Depuis le premier jour de cette crise, le C.J.E. a dénoncé vigoureusement l’attitude ignoble et la rhétorique antisémite abjecte du président iranien, Mahmoud Ahmadinejad. Nous avons demandé au Parlement européen de voter une résolution pour qu’il soit considéré persona non grata en Europe. Nous avons aussi lancé une pétition contre Ahmadinejad, qui a recueilli plusieurs milliers de signatures. Nous avons milité pour qu’il ne vienne pas en Allemagne l’été dernier pour assister à la Coupe du monde de football. Nos pressions et celles de tout un ensemble d’acteurs ont porté fruits, Ahmadinejad n’est pas venu souiller le sol européen.

C.J.N.: Le Parlement européen, qui a adopté une position pusillanime depuis le début de cette crise, est très réticent à condamner fermement l’Iran et son président.

P. Besnainou: Quand le président sortant du Parlement européen, Josep Borrell, m’a annoncé que cette institution n’avait pas pu adopter une résolution pour condamner Ahmadinejad, mais qu’elle avait passé une résolution pour que le président de la Biélorussie, Alexandre Loukachenko, soit considéré persona non grata sur le territoire européen, je me suis demandé quel était le sens de l’Europe que nous nous attelons à bâtir. C’est vrai qu’il y a des moments de découragement, mais notre combat est tellement important qu’on n’a ni le droit ni le temps de baisser les bras.

C.J.N.: La complaisance des instances européennes à l’endroit du président Ahmadinejad vous choque-t-elle?

P. Besnainou: Ahmadinejad est un petit Hitler. Il est aussi dangereux qu’Hitler puisqu’il ne cesse de claironner qu’il veut rayer l’État d’Israël de la carte du monde. Cet islamiste radical représente un des seuls pays siégeant aux Nations Unies osant nier la Shoah et prônant sans aucune gêne l’annihilation du peuple juif et de son État. Hitler a aussi amorcé sa fulgurante ascension politique en honnissant les Juifs, et, à l’époque, personne n’avait cru bon accorder de l’importance à ses paroles et aux premières mesures antisémites qu’il a promulguées en 1938. Il ne s’agissait alors que de déclarations verbales qui ont eu cependant les conséquences dramatiques que l’on connaît.

Il est temps de tirer les leçons du passé. L’amnésie historique ne peut mener les peuples qu’à des catastrophes. Ahmadinejad est une personne dont le monde devrait avoir honte. Pourtant, quand il a pris dernièrement la parole devant l’Assemblée Générale des Nations Unies, personne n’est sorti de la salle, ni envisagé un seul instant l’idée d’interdire à cet antisémite féroce de fouler l’enceinte de cette institution supranationale. Cette attitude passive joue contre l’intérêt du peuple iranien, qui mérite beaucoup mieux que ce petit Hitler.

C.J.N.: Le C.J.E. plaide vigoureusement pour l’adoption de sanctions économiques drastiques contre l’Iran.

P. Besnainou: Ahmadinejad est plus dangereux qu’Hitler parce que probablement dans un futur proche il dotera l’Iran de l’arme la plus redoutable, la bombe nucléaire. Évidemment, devant l’impuissance européenne et l’incapacité des Nations Unies à faire voter des sanctions significatives et sérieuses contre l’Iran, nous nous retrouvons aujourd’hui face à une situation très inquiétante. Bien sûr, on peut blâmer l’Europe, mais je crois que le rôle de la Russie dans cette affaire est très néfaste et inadmissible. Malheureusement, nous constatons impavides que l’incapacité ou l’impuissance de l’Europe est aussi la conséquence du manque de consensus au sein des Nations Unies.

L’Iran est actuellement en train de tester les capacités de l’Union Européenne après avoir testé celles des États-Unis en Irak. Le problème est que le président iranien, convaincu de son impunité, pense qu’il n’y aura pas de réactions. L’Occident doit lui démontrer le contraire. Nous ne pouvons plus nous contenter de condamner verbalement sa rhétorique antisémite et ses desseins nucléaires. La Communauté internationale doit agir avec fermeté en décrétant des sanctions économiques contre Téhéran. Mais, pour l’instant, l’impuissance des nations occidentales face à l’Iran est flagrante.

C.J.N.: Le discours négationniste d’Ahmadinejad n’a-t-il pas une finalité précise: la délégitimation d’Israël?

P. Besnainou: Absolument. Le lien entre le négationnisme d’Ahmadinejad et sa volonté de détruire l’État d’Israël est extrêmement fort. Délégitimer la Shoah pour remettre en cause l’existence de l’État Israël. Son discours a un écho très favorable chez les antisémites négationnistes et les antisionistes de tout acabit.

C.J.N.: L’antisémitisme fait de plus en plus d’émules en Europe, surtout dans les contrées est-européennes. La progression de ce fléau funeste vous inquiète-t-elle?

P. Besnainou: Ce qui m’inquiète le plus, c’est que l’antisémitisme moderne, si je peux le qualifier ainsi, est fortement lié à une idéologie d’extrémistes islamistes et à une pseudo-solidarité avec les Palestiniens, qui est exploitée aujourd’hui à des fins idéologiques. Mais ce n’est pas cet antisémitisme qui m’inquiète le plus, celui qui m’inquiète le plus, c’est l’antisémitisme primaire, ce virus, dont on a vu au milieu du siècle dernier les conséquences terrifiantes pour le peuple juif, qui est en train de renaître un peu partout en Europe, en particulier en Europe de l’Est. C’est ce qui me fait le plus peur.

C.J.N.: L’Europe institutionnelle paraît impuissante face à cet antisémitisme débridé?

P. Besnainou: C’est un des sujets importants que j’évoquerai bientôt avec la chancelière allemande, Angela Merkel: l’harmonisation de la législation européenne en matière de lutte contre l’antisémitisme. Ce que j’amène dans mon dossier, c’est le modèle français, parce que c’est un modèle en termes législatifs qui a donné des résultats probants. Il est impératif d’harmoniser les lois en Europe pour lutter contre l’antisémitisme.

Dans certains pays, en particulier dans les nouveaux pays de l’Union Européenne, on se drape derrière une pseudo-liberté d’expression pour justifier des propos antisémites. Il est extrêmement important que l’Europe ait des moyens légaux pour pouvoir poursuivre en justice des antisémites invétérés. Par exemple, un député polonais membre du Parlement européen, Maciej Giertych, vient de publier et de distribuer une brochure foncièrement antisémite. On est vraiment en 1938, du pur délire! Le fils de cet élu d’extrême droite est vice-premier ministre et ministre de l’Éducation en Pologne. Pour l’instant, le Parlement européen n’a aucun moyen légal pour sanctionner ou poursuivre en justice ce député judéophobe. C’est terrifiant!

C.J.N.: En ce qui a trait à Israël, il ne semble pas y avoir un consensus européen. L’Angleterre et l’Allemagne sont plus proisraéliennes que des pays francophones comme la France et la Belgique.

P. Besnainou: C’est vrai, il n’y a pas une position consensuelle européenne en ce qui a trait aux relations avec Israël. Pour la question de l’antisémitisme, c’est la même chose. Est-ce qu’on peut catégoriser les pays anglo-saxons, les pays francophones, les anciens pays satellites de l’U.R.S.S. désormais membres de l’Union Européenne de plus proIsraël ou de moins proIsraël? C’est difficile. C’est vrai que la France n’est pas le meilleur ami d’Israël, pourtant c’est le pays européen qui lutte le plus vigoureusement contre l’antisémitisme. L’Angleterre est très probablement l’un des meilleurs amis d’Israël, mais sûrement pas le pays qui lutte de la façon la plus efficace contre l’antisémitisme. Dans chaque pays européen, les Juifs sont confrontés à des réalités différentes.

C.J.N.: Les pays de l’Europe de l’Est qui ont adhéré dernièrement à l’Union Européenne, où l’antisémitisme est une réalité sociale très ostensible, sont pourtant proaméricains et même proisraéliens. C’est à ne rien comprendre!

P.Besnainou:Vous avez raison. L’entrée dans l’Union Européenne de dix nouveaux pays est-européens, beaucoup plus proaméricains que les pays de la Vieille Europe, est un facteur qui aidera sans doute à l’amélioration des relations entre l’Europe et Israël. Aujourd’hui, la Pologne est un des principaux alliés des États-Unis et d’Israël. Dans l’épineux dossier du bouclier antimissile, la Pologne et la Tchécoslovaquie, pays amis et alliés de l’Amérique, s’opposent fermement à la Russie de Poutine, très réfractaire au déploiement de ce bouclier sur le territoire européen. La Pologne a d’excellentes relations avec l’État d’Israël. Pourtant, ce pays ultra-catholique ne fait pas grand chose pour combattre l’antisémitisme qui prolifère dans son terroir. C’est paradoxal et inquiétant.

C.J.N.: Comment envisagez-vous l’avenir des Juifs en Europe?

P. Besnainou: J’ai une position assez claire sur cette question. L’Europe compte aujourd’hui un peu plus de deux millions de Juifs. Il y a un danger qui plane sur le judaïsme et les Juifs de la Diaspora: l’assimilation. Dans les Communautés juives d’Europe, le taux de mariages mixtes se situe entre 50 et 80%. C’est évidemment le premier élément qui nous force à nous poser la question de l’avenir des Juifs en Europe et en Diaspora. Le deuxième élément, c’est que l’Aliya des Juifs en Israël ne se fait plus que par choix, il n’y a plus d’Aliya refuge. Des Juifs d’Europe font leur Aliya parce qu’ils considèrent Israël comme un choix existentiel et non parce qu’ils sont persécutés.

Sur le plan économique, social et culturel, il y a des pays européens où il y a moins d’avenir que dans d’autres. Dans les petites Communautés juives, les mariages mixtes et l’assimilation sont évidemment des facteurs qui rendent les perspectives d’avenir de ces Communautés bien sombres. Dans la Communauté juive de Croatie, que j’ai visitée dernièrement, il n’y a eu en 2006 que quatre mariages et deux Bar Mitzvah. Malgré toute la sympathie que j’éprouve pour cette Communauté, force est de reconnaître qu’elle n’a pas un très grand avenir devant elle.

C.J.N.: L’avenir des Juifs de France vous préoccupe-t-il?

P. Besnainou:En France, les actes antisémites en 2006 ont augmenté par rapport à 2005. Tout le monde est surpris par ces statistiques parce que ce n’est pas ce qu’on avait annoncé. La réalité, c’est que les actes antisémites sont à la hausse. Ça c’est factuel. Ils ont baissé par rapport à 2004. Le problème n’est pas réglé, nous devons continuer à être très vigilants. Les pouvoirs publics français font un effort considérable pour lutter contre l’antisémitisme. Mais il y a toujours un malaise dans la Communauté juive de France. 2006 a été l’année où le jeune Ilan Halimi a été torturé et cruellement assassiné parce qu’il était Juif.

Malheureusement, en France, le problème de l’antisémitisme demeure une dure réalité qu’on ne peut pas ignorer.


In an interview, European Jewish Congress president Pierre Besnainou talks about the dangers of anti-Semitism in Euorpe

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