Monday, March 06, 2006

203 - Retour sur l’échec d’une manifestation

Comme le soulignait récemment le philosophe Alain Finkielkraut, la manifestation organisée à Paris après le crime antisémite d’Ilan Halimi a finalement été un échec. Entre 50 000 et 100 000 personnes ont défilé, soit environ dix fois moins que lors de la marche imposante qui avait eu lieu au même endroit après la profanation du cimetière juif de Carpentras il y a près de quinze ans. Mais surtout, l’immense majorité de ces manifestants étaient juifs.
Les dirigeants des principaux partis politiques, des principales religions et des principales organisations anti-racistes étaient certes présents aux premiers rangs et avaient appelé les français à réagir, mais l’homme de la rue ne s’est pas déplacé.
Si la manifestation a ainsi été une réussite pour la communauté juive, près d’un quart des juifs de la région parisienne était sur les pavés, elle a été un échec pour la communauté nationale. Et pourtant, la nature du crime est incomparable. Quand bien même les actes odieux perpétrés à Carpentras étaient ignobles et révoltants, le crime immonde dont a été victime Ilan pendant trois semaines de torture, achevées dans une agonie dénudée en plein froid, tout simplement parce que juif, est unique dans l’histoire de la France contemporaine. Alors pourquoi une mobilisation aussi limitée ? Certains ont pu douter du caractère antisémite du meurtre d’Ilan. Mais le plus important n’est pas là. Une différence majeure doit être relevée entre l’affaire Carpentras et l’affaire Ilan. Dans le premier cas, il s’agissait alors d’une profanation que l’on attribuait initialement à l’extrême droite. L’antisémitisme progressait, le Front National également. Il était alors facile et politiquement très correct de descendre dans la rue contre l’antisémitisme traditionnel et le fascisme historique qui menaçaient. Tout le monde pouvait se sentir concerné sans difficulté. Dans le cas d’Ilan, les criminels sont autres. Ils symbolisent le nouvel antisémitisme qui frappe la France depuis quelques années : un antisémitisme des banlieues, d’origine africaine, nord-africaine, et islamiste. Un antisémitisme bien plus difficile à nommer, à admettre, et fortiori à combattre, pour une partie importante de la classe politique dans un premier temps, et de la population française à présent. En quelque sorte excusé au départ par certains, alors qu’il était censé refléter la réponse à une politique israélienne que le Quai d’Orsay n’a jamais acceptée, cet antisémitisme des banlieues a par la suite connu un essor inquiétant qui a alors obligé les pouvoir publics à réagir. Mais n’était-ce pas trop tard ? Entre temps, un sinistre comique en a fait son misérable fond de commerce, sans en être inquiété par la justice, et une partie importante de l’opinion publique continuait – même à mots couverts – à lui trouver une certaine justification, voire une certaine légitimité. Au delà, une frange entière de la classe politique n’a jamais réellement admis cette nature communautariste du nouvel antisémitisme qui sévit. Difficile dans ce cas de mobiliser la population quand le pire se produit, quand précisément il est trop tard. A force de minimiser, d’expliquer, de relativiser, on en arrive à comprendre et donc à accepter. Non, la lutte contre l’antisémitisme ne fait plus recette. Si Ilan avait été torturé et tué par des hordes de skinheads fascistes, comme il aurait été plus facile de descendre dans la rue. Mais quand on condamne un Alain Finkielkraut pour avoir « osé » parler de la France « black, black, black », quand on trouve des justifications « sociales » et « morales » aux émeutes des banlieues de l’hiver dernier, et quand on relaxe systématiquement un auteur de propos antisémites sous prétexte de pinaillage juridique totalement déplacé, on modifie les réflexes des français et on prépare le terrain à une certaine indifférence face à un crime commis par un « black » à l’encontre d’un juif. L’indifférence. La plus médiocre et la plus dangereuse des réponses. Certes, les médias ont été mobilisés, les politiques ont été mobilisés. Mais les français ? Le meurtre d’Ilan est à cet égard le plus cruel des révélateurs de cet antisémitisme qui a changé la France au cours de ces dernières années. A la fois un révélateur des auteurs de cette nouvelle haine anti-juive que de la réaction de l’opinion publique. Les grands discours des politiques sont une chose, la réalité du pays en est une autre. L’antisémitisme actuel aura beau être combattu au sommet de l’Etat, il ne sera réellement éradiqué qu’avec l’aide de l’ensemble des français. Il faut que les monstres des banlieues qui s’en prennent depuis trop longtemps aux juifs parce qu’ils sont juifs comprennent que le pays entier se lève contre eux pour combattre ces actes immondes. Sans quoi ces barbares d’un autre âge ne se sentiront jamais suffisamment menacés pour stopper leurs crimes. Les nouvelles agressions antisémites commises à Sarcelles les 3 et 4 mars à peine Fofana était-il rapatrié en France sont là pour en témoigner si besoin était. Non, la France ne s’est pas levée de la sorte ce 26 février 2006 entre la place de la République et celle de la Nation. Deux places bien mal nommées pour cette occasion.

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