Sunday, March 04, 2007

FOFANA DANS SA CELLULE

Reportage
Fofana, ses lettres, sa haine
LE MONDE | 02.03.07 | 14h45 • Mis à jour le 02.03.07 | 14h45
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l date rarement ses courriers, mais rédige sans ratures. "Madame la juge, je me permets de vous écrire pour vous dire que je vous emmerde." De sa cellule, Youssouf Fofana a la plume alerte. En attendant son procès, qui devrait avoir lieu en 2008, il écrit régulièrement des lettres cinglantes, incohérentes parfois, qu'il envoie à tous ceux qu'il soupçonne d'oeuvrer contre lui.



Depuis son incarcération, il y a un an, celui qui se présente comme le leader du "gang des barbares de Bagneux" (vingt-neuf autres personnes sont mises en examen dans ce dossier) est persuadé qu'il est voué à la réclusion à perpétuité. Insultes, délires paranoïaques, postures mégalomaniaques, contradictoires, tout s'empile dans le dossier de l'homme soupçonné d'être le principal responsable de la mort d'Ilan Halimi, un jeune homme de confession juive, retrouvé agonisant, le 13 février 2006, à Sainte-Geneviève-des-Bois (Essonne) après avoir été enlevé, séquestré et torturé, trois semaines durant, dans une cave de Bagneux (Hauts-de-Seine).

Tellement désinvolte, Fofana, que, le 27 décembre 2006, le parquet a ouvert une enquête préliminaire pour "outrage à magistrat". Quelques jours plus tôt, la juge d'instruction Corinne Goetzmann avait en effet reçu de sa part un courrier contenant notamment des articles relatant l'assassinat de diplomates russes par des terroristes tchétchènes. Récemment, une information judiciaire a également été ouverte pour "tentative d'extorsion de fonds". A partir d'une lettre interceptée au mois de juin 2006, la brigade criminelle a découvert que, de sa cellule, il continuait de racketter une jeune femme. Toutes ces procédures s'ajoutent à la quinzaine d'informations judiciaires qui le concernent.A la maison d'arrêt de Rouen (Seine-Maritime), en mars 2006, tout juste extradé de Côte d'Ivoire, où il était en cavale, Youssouf Fofana a immédiatement été placé à l'isolement. Un régime sec, auquel il a été maintenu jusqu'au mois de décembre, même après son transfert à la prison de Lille-Sequedin (Nord), il y a environ six mois.

Il était "calme", au début, selon des surveillants. Mais durant ces semaines passées seul, à parler aux murs, à languir devant la télévision, Youssouf Fofana semble avoir finalement aiguisé son malaise. "J'ai la haine", répète-t-il souvent dans ses courriers. Depuis qu'il a été remis avec d'autres détenus, il ne supporte plus la présence de ceux d'une autre origine raciale que lui. Et en promenade il ne souhaite plus "tourner" qu'avec des "musulmans".

Un responsable pénitentiaire, à qui s'est confié l'un de ses codétenus, raconte dans un courrier : "Il a clairement indiqué qu'il n'aimait pas ceux de confession juive et qu'il n'avait pas choisi sa victime au hasard. Il pense qu'après sa condamnation, il va être supprimé par un détenu qui se sera fait incarcérer pour l'abattre." Il explique aussi comment Fofana souhaiterait "retourner en Afrique", où il se voit "en grand chef de guerre", "rejoindre une zone rebelle", "s'armer" et ensuite "intégrer un groupe salafiste".

Dans sa cellule, cette théorie du complot poursuit Fofana jour et nuit. Le 1er mai 2006, dans un entretien accordé à l'Agence France Presse (AFP), sa mère expliquait combien "elle compatissait" avec la maman d'Ilan Halimi. Deux mois et demi plus tard, Youssouf Fofana prend la plume et écrit : "Madame le juge, je vous demande d'interdire pour trois mois le droit de visite à Mme Fofana. Salutations distinguées." Même sentence pour son père, quelques jours plus tard, à qui il reproche le fait que sa famille ait aidé la police pour le retrouver lorsqu'il était en Côte d'Ivoire.

Les turpitudes de Youssouf Fofana anéantissent ses parents, à Bagneux. Selon un ami proche de la famille, la mère, notamment, est en larmes à chaque fois qu'elle revient du parloir. Malgré les interdictions de visite de son fils, elle refuse de renoncer à se rendre tous les quinze jours à la prison. A chaque fois, elle prépare son linge propre. Lui achète des cigarettes. Prévoit des économies sur sa paie de femme de ménage pour qu'il puisse se payer ses timbres. Au cas où. Et lorsqu'elle rentre à la maison, ce sont les frères et soeurs de Youssouf qui se relaient pour lui lire, à elle et son mari, les lettres d'insultes qu'il leur adresse.

Dans sa cellule, Youssouf Fofana ne lit pas. Dort mal. Il échafaude des scénarios tous azimuts. Dans ses 9 m2, il passe ainsi un temps considérable à écrire à la juge. Pour dénoncer "des complicités en Côte d'Ivoire". "Avouer" d'autres tentatives d'enlèvement. Donner des informations diverses, toujours délicates à vérifier. Mais dès que la juge l'extrait pour l'interroger : silence. Pour ne pas répondre, tout est prétexte. Parce qu'il a désigné un nouvel avocat. Parce qu'il n'est pas dans "de bonnes dispositions". Parce qu'il n'a pas été "prévenu".

La dernière fois que Youssouf Fofana s'est exprimé sur ses actes, c'était juste après son interpellation en Côte d'Ivoire. A l'époque, il avait minimisé son rôle. Mettant en avant celui de Jean-Christophe S., alias "Craps", considéré comme l'autre leader de la bande, arrêté pendant l'été 2006. Mais, depuis sa détention en France, les rares fois où il a daigné parler, c'est au contraire pour jouer les leaders charismatiques. "Je suis dans une impasse, confessait-il ainsi à l'un de ses avocats, à l'automne. C'est dur souvent de se dire qu'à 26 ans on vous retire toute votre liberté. Dans mon malheur, je dois positiver, sinon je risque la dépression."

Dans le fond, Fofana ne semble pas vraiment avoir pris conscience de ses actes : "Je ne comprends pas pourquoi l'affaire Halimi a fait autant de bruit. Il y a d'autres affaires. Je ne dis pas ça pour minimiser. Je dis ça parce que je suis étonné", explique-t-il lors d'un interrogatoire à la juge. Il reste aussi obnubilé par l'idée de trouver un éditeur ou un producteur pour médiatiser son histoire. Et gagner de l'argent. Car il en est persuadé, son cas à lui "est particulier". "Est-ce que tu réalises que cette histoire va faire presque le tour du monde, Mon vieux, Paris, Angleterre, Afrique de l'Ouest, Maroc, Algérie, Tunisie, New York, Israël, Moyen-Orient ?", écrit-il à un ami.

Depuis deux mois, Youssouf Fofana ne tolère plus aucune visite. Il a même coupé court à son histoire avec Mariam, la jeune Ivoirienne avec qui il avait été interpellé à Abidjan.

Le 9 février, le corps d'Ilan Halimi, lui, a été transféré à Jérusalem. Et aujourd'hui, de son calvaire, il ne reste plus qu'une cave. Cinq marches abandonnées, interdites d'accès par un simple ruban rouge.

Elise Vincent

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