INTERVIEWPour le sociologue Didier Lapeyronnie, le racisme anti-juifs de banlieue relève d’une logique collective :
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Recueilli par CATHERINE COROLLER
Didier Lapeyronnie est professeur de sociologie à l’université Paris-Sorbonne et auteur de Ghetto urbain, ségrégation, violence, pauvreté en France aujourd’hui (Robert Laffont, 2008).
L’affaire Ilan Halimi est-elle, selon vous, antisémite ?
L’acte lui-même est crapuleux mais il a été alimenté par un antisémitisme évident : les juifs seraient riches, solidaires, communautaires... Cela étant, un fait divers est toujours un événement particulier qui tient à la convergence d’une situation sociale et d’histoires personnelles. L’affaire Ilan Halimi, c’est la rencontre d’un leader charismatique et d’un monde social si faible qu’il s’est laissé embobiner.
Exist-t-il un antisémitisme propre à la banlieue ?
Il y a beaucoup d’antisémitisme dans les quartiers, mais cela ne veut pas dire que les gens sont individuellement antisémites. Dans cette histoire, on retrouve tous les ingrédients du fonctionnement des ghettos : la logique du groupe qui fait commettre des actes qu’on ne commettrait pas individuellement, la présence d’un leader charismatique, la loi du silence, la peur, l’absence de solidarité avec des gens extérieurs au quartier et l’antisémitisme qui circule dans le groupe et d’une certaine façon le cimente, donnant à chacun l’illusion d’exister et d’être en possession d’une forme de compréhension supérieure qui échappe au commun des mortels. On est sur des logiques collectives assez classiques.
Quelles sont les racines de cet antisémitisme ?
Il n’est pas importé du conflit israélo-palestinien. Au contraire. La focalisation sur les événements du Proche-Orient vient du fait que les gens sont antisémites, pas l’inverse. L’antisémitisme puise ses racines dans les conditions sociales et le vide politique qui règnent dans certaines banlieues. C’est une forme de «socialisme des imbéciles» . Quand on écoute les gens tenir des propos antisémites, ils font leur portrait à l’envers : les juifs sont puissants, je suis faible ; ils sont partout, je suis nulle part ; ils sont solidaires, je suis seul ; ils ont le droit de revendiquer leur identité, nous, au contraire, n’avons aucun droit, etc. Inutile de penser, comme l’a bien montré Sartre.
Cet antisémitisme s’accompagne-t-il d’autres formes de racisme ?
Il n’est pas dissociable du racisme, du sexisme et de l’homophobie. Dans la description du juif, il y a une image féminine, molle, homosexuelle, une espèce de sous-humanité pervertissant la civilisation, qui nous vient de la fin du XIXe siècle.
Ce procès devrait se tenir à huis clos, qu’en pensez-vous ?
La démocratie, c’est toujours mieux. La publicité des débats pourrait avoir des vertus pédagogiques. Mais il ne faut pas se leurrer, il faudrait que les gens aient la capacité de se dire : «J’aurais pu participer à ça.» Or, la diabolisation dont se pare l’auteur supposé des faits, son arrogance et le fait qu’il n’ait visiblement pas beaucoup de regrets sont tels que je crains que cela aille contre l’effet pédagogique.
La France est-elle antisémite ?
Elle est incomparablement moins antisémite du point de vue de l’opinion publique qu’elle ne l’a été, même s’il reste parfois des traces. Toutefois, le vieil antisémitisme d’extrême droite demeure et reste dominant. Il y a aussi un antisémitisme d’extrême gauche que véhiculent des gens comme Dieudonné ou Alain Soral [essayiste transfuge du PC et proche du FN avec lequel il a rompu récemment, ndlr]. Mais il reste très minoritaire et très faible. Et il y a, en bas, cette espèce d’antisémitisme populaire apparu dans les quartiers. Mais entre ces trois formes, pour l’instant, il n’y a pas de liens. Heureusement.