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NICOSIE ENVOYÉ SPÉCIAL
Depuis deux semaines, les dortoirs de l'université de Nicosie sont occupés par des étudiants d'une moyenne d'âge d'environ 60 ans, originaires d'une dizaine de pays. Ils se préparent à la traversée Chypre-Gaza à bord d'un chalutier de poche et d'un petit voilier achetés pour l'occasion. Ce défi à hauts risques, dont le départ est imminent, est destiné à alerter l'opinion publique internationale sur le calvaire de la bande côtière palestinienne, étranglée depuis plus d'un an par le blocus israélien.
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"Le monde doit se réveiller, dit Hedy Epstein, une rescapée de la Shoah âgée de 84 ans. L'armée israélienne est en train d'affamer la bande de Gaza, et l'Occident observe en silence, de peur d'être taxé d'antisémitisme. Les persécutés sont devenus des persécuteurs." Avec ses compagnons grisonnants, vétérans comme elle de la cause palestinienne, Hedy rêve d'atteindre Gaza et d'ouvrir la première ligne maritime à destination de l'enclave sablonneuse depuis son occupation par les troupes de l'Etat juif, en 1967.
Si les vedettes de l'armée israélienne s'interposent, les marins mutins du mouvement Free Gaza prévoient de rester en mer, espérant une mobilisation médiatique en leur faveur. "On ne mangera pas de filet mignon tous les jours mais on a de quoi tenir, dit la vieille dame indignée. Si le peuple de Gaza parvient à survivre, pourquoi ne ferions-nous pas de même ?"
Ce projet extravagant, digne d'une opération commando, émerge durant l'été 2006, à l'issue de la seconde guerre du Liban. Six mois plus tôt, en réaction à la victoire électorale du Hamas, l'armée israélienne a commencé à cadenasser la bande de Gaza. Galvanisé par la résistance imprévue du Hezbollah, un quatuor de militants pacifistes basés à Beyrouth, à Londres et en Californie, ressent le besoin de frapper un grand coup. "On faisait le constat qu'écrire des mails et participer à des manifestations ne suffisait plus, explique Ramzi Kyzia, un trentenaire américain d'origine libanaise qui se définit comme un "moushkalji" ("agitateur") professionnel. On se disait qu'il fallait travailler à la paix de façon aussi déterminée qu'Israël et les Etats-Unis travaillent à la guerre. Que notre action devait être proportionnée à la gravité de la crise."
A force de remue-méninges sur Internet, l'idée folle surgit. "Et si on prenait un bateau pour Gaza ?" Le projet initial envisage un départ de New York, au pied de la statue de la Liberté. Il est ensuite question de Marseille, pour imiter l'Exodus, le navire rempli de survivants de la Shoah, parti du port de Sète, en 1947, et intercepté par la marine britannique devant les côtes du futur Etat d'Israël. Finalement, Ramzi et ses collègues - Paul Larudee, un accordeur de pianos de San Francisco, Greta Berlin, une consultante en relations publiques, et Bella Locke, une Anglaise - optent pour un trajet plus court, à partir de Chypre.
Commence alors un marathon pour lever des fonds. Compte tenu du caractère "subversif" de l'entreprise, il est vain d'imaginer louer des bateaux. Il faut les acheter. Les armateurs de Méditerranée n'ont pas oublié les déboires du Sol Phryne, un rafiot affrété, en 1988, par l'OLP (Organisation de libération de la Palestine) et destiné à ramener sur leur terre natale une centaine de Palestiniens expulsés en 1948, lors de la création d'Israël. Le 16 février de cette année, quelques heures avant le départ, un engin explosif avait dévasté la coque du navire, ancré dans le port de Limassol, à Chypre, torpillant du même coup le rêve de retour des réfugiés. La veille, dans la même ville, trois responsables de l'OLP avaient été tués dans un attentat à la voiture piégée, attribué, là aussi, au Mossad, la ténébreuse centrale de renseignement israélienne.
Conscients de ne pouvoir compter que sur leur volontarisme, les patrons de Free Gaza lancent une vaste opération de souscription. "On a multiplié les présentations, dans les églises, les écoles, les associations, raconte Greta Berlin, 67 ans, une ancienne metteuse en scène de théâtre. Les donations ont varié, de 20 000 dollars pour la plus grosse à 1,50 dollar pour la plus petite." Au printemps, le financement paraît bouclé. Riad Hamad, un Libano-Américain, professeur d'informatique au Texas et responsable d'une association caritative spécialisée dans l'aide aux enfants de Gaza, a promis de verser 25 000 dollars. De quoi finaliser l'achat d'un navire turc.
Mais, le 14 avril, son corps est retrouvé, inanimé, dans un lac d'Austin. En dépit du fait que ses mains et ses jambes aient été liées, la police conclut à un suicide. Ses proches, au sein du mouvement propalestinien, incriminent le harcèlement du FBI et du fisc américain qui, quelques semaines plus tôt, avaient perquisitionné son domicile, dans le cadre d'une enquête pour fraude et blanchiment d'argent.
"Il n'a pas supporté la pression, dit Greta Berlin. Ses comptes ont été aussitôt gelés. En plus des 300 000 dollars que nous avions levés, nous avons dû emprunter 250 000 dollars pour finalement acheter en Grèce, début juin, deux bateaux." Leurs noms : Free Gaza et USS Liberty, en l'honneur du navire américain du même nom, coulé, en 1967, par l'aviation israélienne. Une "erreur", selon la version officielle, qui coûta la vie à trente-quatre marins.
Le 29 juillet, les initiateurs du projet sont rejoints à Chypre par une trentaine de militants, dont une nonne américaine de 81 ans, Ann Montgomery, un Palestinien de Gaza, interdit de séjour sur sa terre, Mushir Al-Farra, et l'anthropologue Jeff Halper, figure du mouvement anti-occupation israélien. Pendant deux semaines, ils attendent l'arrivée des bateaux, partis de Crète et ralentis par le mauvais temps. A leur bord, une dizaine d'activistes, dont Paul Larudee et la journaliste Lauren Booth, belle-soeur de Tony Blair.
Pour tromper l'ennui, les "chypriotes" cuisinent, visitent Nicosie, répètent quelques gestes de secourisme et, instruits par le sabotage de 1988, verrouillent à double tour les portes de leurs chambres. "Les Israéliens nous surveillent, assure Greta Berlin. Ils ont déjà tenté de brouiller le matériel de transmission satellite embarqué sur les bateaux. On a eu des visites louches sur le campus. On a même reçu des menaces téléphoniques. Une voix anonyme a dit au mari de Lauren Booth de prévenir leurs enfants que "Maman ne reviendra pas"".
En dépit de cette tension, les apprentis matelots tiennent bon. L'annonce par le quotidien Haaretz que la marine israélienne envisage d'arraisonner leur flottille ne les décourage pas. Après deux années de préparatifs épiques, tous ont le sentiment d'avoir déjà gagné. "Si les Israéliens nous arrêtent dans les eaux internationales, c'est un crime, dit Ramzi Kyzia. S'ils nous arrêtent dans les eaux de Gaza, c'est la preuve qu'en dépit de l'évacuation des colons ce territoire est toujours sous occupation. Or, en droit international, l'occupant doit s'assurer du bien-être de la population, ce que bien sûr Israël ne fait pas. Dans les deux cas, on est gagnants. On prend Israël en flagrant délit de violation du droit international."
Hedy Epstein, la super-mamie de la troupe, ne s'inquiète pas non plus. Avant de quitter son domicile, à Saint Louis, au Missouri, elle a pris des cours de natation à la piscine municipale. "Maintenant, je n'ai plus peur de mettre la tête sous l'eau, dit-elle. Je suis prête pour débarquer à Gaza."
Benjamin Barthe
nos attirails de pêche et calé dans nos sacs les ustensiles et les ingrédients nécessaires…
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Portrait
De mémoire vive
Elie Wiesel. Rescapé des camps de concentration, l’écrivain en revient toujours à l’Holocauste. Et continue, à 80 ans, à œuvrer contre l’oubli.
ANNE DIATKINE Photo PATRICK SWIRC
QUOTIDIEN : lundi 1 septembre 2008
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Un père dit à son fils : «Mon petit, ferme la porte. Il fait froid dehors.» Le fils demande : «Et si je la ferme, est-ce qu’il y fera chaud ?» Ou encore : «Dans un compartiment, un enfant empêche tout le monde de dormir en répétant qu’il a soif. Pour le faire taire, un homme lui cherche un verre d’eau. L’enfant passe alors la nuit à dire : "Qu’est-ce que j’avais soif !"» Ce sont les deux histoires qui viennent à l’esprit d’Elie Wiesel lorsqu’on lui propose de définir l’humour juif. Deux blagues qui ne font pas éclater de rire, mais qui ne prennent pas l’autre pour cible, et qui le concernent intimement. Est-ce que lorsqu’on ferme la porte aux horreurs du monde, elles cessent d’exister, pour peu qu’on ne les voie plus ? Et pour la deuxième : «On ne change jamais d’obsession. Qui ne peut pas être soulagée.»
Elie Wiesel commence l’entretien par une série de questions. Son attention aux autres n’a rien de factice. Alors qu’on s’attendait à ce qu’il déroule sa tumultueuse vie tranquillement, on passe tout de suite aux interrogations sans réponse immédiate. Comment définir la judaïté aujourd’hui ? Est-ce qu’être juif change de signification, non seulement selon les gens, mais selon les époques ? Comment et par qui se transmet la judaïté lorsqu’on est athée ? Une bar-mitsva laïque est-t-elle une contradiction dans les termes ou une possibilité de ne pas rompre avec une culture ? Elie Wiesel, prix Nobel de la paix en 1986, répond qu’il n’est pas rabbin et que ses réponses n’engagent que lui. Il ne pense pas être juif différemment depuis sa naissance le 30 septembre 1928, à Sighet, en Roumanie. Ni que sa déportation en avril 1944 dans les camps de Birkenau, Auschwitz, Monowitz, Buna et Buchenwald ait modifié sa conscience de l’être. «Car ce n’est pas l’antisémitisme qui m’a déterminé. Je suis né juif, mais chaque jour, je me redéfinis.» La judaïté serait donc une forme de questionnement perpétuel, sans que la réponse ne soit une finalité. Elie Wiesel : «Tout ce que je fais, je le fais en tant que juif. Je suis persuadé que plus un juif est juif, plus son message est universel. De même pour un musulman ou un chrétien. Ou la laïcité pour un laïc. Elle prédomine tous ses choix. Je ne crois pas aux bienfaits de la dissolution des identités.» Il dit qu’il est croyant, «faute de pouvoir divorcer d’avec Dieu».
Le trait d’humour traverse en coup de vent un visage sans amnésie. Son regard intense ne semble jamais se détourner des atrocités qu’il a vues, adolescent, à son arrivée à Birkenau. Des nourrissons jetés vivants dans des fossés en flammes. «Ma foi n’est plus entière. Mais la question qui me tourmente est plutôt celle de la folie. Comment est-il possible que la raison d’un adolescent survive à la vision de bébés enflammés ?» Il ajoute : «Je peux être juif avec ou contre Dieu. Mais pas sans Dieu. Mon père était croyant, mon grand-père était croyant, son propre père était croyant et ainsi de suite. Comment pourrais-je rompre cette chaîne ?» Quand on a échappé à l’extermination et qu’on a entendu son père crier son prénom juste avant de mourir, juste avant la libération de Buchenwald, tout sujet, aussi anodin soit-il, mène aux camps. Est-ce que le savoir de l’extermination va se dissoudre avec la mort des derniers survivants ? «Elle est vulnérable, cette mémoire. L’oubli n’est pas une maladie individuelle, mais collective.» La profusion des informations et leur stockage illimité ne préservent de rien. «L’Holocauste est l’événement le mieux documenté de l’histoire humaine. Mais la connaissance est dans la machine, plus dans l’humain.» A San Francisco, au début de l’année 2007, Elie Wiesel a été agressé dans un ascenseur par un jeune négationniste qui voulait le forcer à admettre que l’Holocauste n’avait pas eu lieu. «Selon l’enquête, il est bon étudiant, leader du journal de la fac. Il me pistait depuis plusieurs semaines. Je n’arrive pas à le comprendre.»
L’incrédulité est une expérience qui a coûté la vie à beaucoup dans la communauté juive de Sighet. La Nuit, le texte fondateur d’Elie Wiesel, s’ouvre sur Moshé-le-Bedeau, le bon à tout faire de la synagogue hassidique, qui a réussi à s’échapper d’une tuerie de la Gestapo, dans la forêt . De retour au village, il supplie les Juifs de partir avant d’être arrêtés. C’était vers la fin 1942. «Il était à l’échelle la plus basse de la société. Pourquoi des gens normaux, installés, auraient prêté attention à ses propos illuminés ? Moi non plus, je ne l’ai pas cru.» Les convois partent de Sighet deux semaines avant le débarquement. «Quand on est descendus à la gare d’Auschwitz, ce nom ne nous disait rien. On a appris que c’était le terminus et qu’il y avait là un camp de travail.»
En 1979, Elie Wiesel est dans le bureau ovale du président Carter. Qui lui montre les photos prises par les avions militaires américains survolant Auschwitz, fin 1942. «Tout le monde savait. Roosevelt et Churchill auraient pu lancer des appels à la radio à l’attention des Juifs hongrois. On n’y serait pas allés. Leur responsabilité est incommensurable. Je reste en colère.» Il est devenu citoyen américain par hasard, en 1956, après avoir été renversé par un taxi à New York, où il est resté immobilisé plusieurs mois. Jeune journaliste, il part en reportage sur les survivants des camps, en Israël. Aucun journal ne veut publier son sujet. «Israël mettait l’accent sur l’héroïsme. On disait aux survivants de tourner la page. Or, ils m’expliquaient que la tragédie ne s’arrêterait que si sa réverbération était considérée.» Adolescent, quand il est recueilli par l’OSE (l’œuvre de secours aux enfants), il se promet de ne jamais parler des camps avant d’avoir trouvé le mot juste. «Cette ascèse du langage provenait de mes études à la Yeshiva de Sighet.» Pendant dix ans, il se tait. Mais lorsqu’il cherche enfin à fracasser le silence, la première version de la Nuit est refusée par tous les éditeurs, en anglais et en français, malgré les efforts de François Mauriac. C’est Jérôme Lindon, aux éditions de Minuit, qui l’accepte. «Il l’a relu mot à mot et a beaucoup coupé. J’ai accepté. Je n’étais pas écrivain, je parlais mal le français, je tentais juste de sortir les phrases du gouffre.»
Dans sa préface à la Nuit, Elie Wiesel écrit : «Ce n’est pas parce que le témoin est maladroit que vous ne comprendrez pas. C’est parce que vous ne comprendrez pas qu’il s’exprime si pauvrement.» De l’Arménie au Darfour, il a épousé toutes sortes de causes dont le vecteur premier est «les enfants». Il croit en l’éducation et n’a pas apprécié l’idée de Nicolas Sarkozy de faire porter à chaque élève la mémoire d’un petit déporté. «Il est sincère mais il ne connaît pas assez le sujet.» Le sujet, ce sont les enfants.
Lui qui a si longtemps été un proche de François Mitterrand jusqu’à la révélation de l’amitié du président avec Bousquet, ne sait pas encore s’il va voter Obama ou McCain. «J’attends que les deux candidats s’expliquent.» Le premier livre qu’il a lu après Buchenwald, fut le Procès de Kafka. «C’était une bonne transition.»