29/12/2008 20:30
Le grand rabbin Gilles Bernheim veut être « la voix » du judaïsme de France
Élu fin juin nouveau grand rabbin de France, Gilles Bernheim prendra ses fonctions jeudi. Parmi ses priorités, l’avenir des petites communautés juives et la formation des rabbins
Depuis son élection comme grand rabbin de France le 22 juin, Gilles Bernheim travaille d’arrache-pied. Même si, conformément aux statuts, il ne prendra ses fonctions que jeudi, quittant ses petits bureaux du département Torah et société créé au sein du Consistoire de Paris, pour le Consistoire central, rue Saint-Georges, il souhaite être opérationnel très vite.
Ce philosophe de formation, âgé de 56 ans, prend en effet la tête du judaïsme orthodoxe national dans un contexte difficile : il s’agit à la fois d’enrayer le repli communautaire amorcé ces dernières années, de ramener l’unité au sein d’une communauté profondément divisée, de relever le défi de l’éducation religieuse…
En un mot, et selon l’expression de son conseiller Raphy Marciano, également directeur du centre communautaire Lafayette (Paris 9e), de tirer les conséquences des « évolutions de la société en général et de la société juive en particulier ces dernières années ».
Malgré une transition que ce dernier reconnaît « très difficile » avec son prédécesseur Joseph Sitruk, en poste depuis vingt et un ans, le nouveau grand rabbin de France a déjà préparé ses équipes et ses dossiers.
Travailler en équipe
Au-delà des cinq permanents (chef de cabinet, secrétaires, etc.) qui l’entoureront au Consistoire central, Gilles Bernheim, qui n’a pour le moment qu’une expérience communautaire limitée (il n’a été rabbin que de la synagogue de la Victoire à Paris), l’affirme : il travaillera « en équipe », dit Raphy Marciano.
Un premier cercle de sept ou huit conseillers bénévoles («un avocat, un professionnel de la communication »…) sera chargé de « fixer les orientations politiques », de préparer « communications et discours ».
Ensuite, des groupes de travail thématiques d’une dizaine de personnes – « rabbins et représentants de la société civile » – auront pour tâche de lui proposer des pistes sur des sujets aussi divers que la bioéthique (en vue de la préparation des futurs états généraux), la cacheroute, la réinsertion des prisonniers, l’accompagnement des malades à l’hôpital, la place de la femme dans la religion juive, etc. « Les rabbins ont besoin d’être confrontés aux médecins, par exemple », indique Raphy Marciano.
Certains de ces groupes ont déjà commencé à faire circuler leurs propositions. Enfin, innovation d’importance, un « conseil rabbinique français » composé de quinze rabbins représentant toutes les composantes du judaïsme « consistorial et orthodoxe » sera chargé d’examiner les problèmes pratiques posés par la halakha, la loi juive.
Sur le divorce, les conditions exigibles en cas de conversion, etc., ce conseil proposera « quatre ou cinq solutions » au grand rabbin de France, qui tranchera. Une manière, peut-être, de remédier à un certain immobilisme qui a pu prévaloir ces dernières années.
Soutenir les petites communautés
Si les communautés juives connaissent une grande vitalité à Paris, Lyon, Marseille ou Strasbourg (multiplication des écoles juives, des commerces cacher, des lieux d’étude…), beaucoup disparaissent dans des villes petites ou moyennes. Gilles Bernheim avait promis, pendant sa campagne, d’en faire l’un des principaux axes de son mandat.
Il s’est donc concocté un programme de visites pastorales chargé : Toulouse les 12 et 13 janvier, Bordeaux (qui vient d’accueillir son nouveau rabbin) les 18 et 19 janvier, Troyes le 25 janvier, Nice (où la communauté ne cesse de s’entre-déchirer) les 8 et 9 février…
Régulièrement, le nouveau grand rabbin devrait passer un shabbat entier, vendredi et samedi, dans une communauté pour écouter ses membres, mais aussi rencontrer les autres responsables et encourager les responsables communautaires à faire de même.
Le Consistoire central devrait par ailleurs demander aux rabbins et enseignants parisiens de passer « un, deux dimanches par an » dans une petite communauté, de sorte que celles-ci aussi aient des offices et accès à l’étude.
Dans ce domaine, Gilles Bernheim, qui n’est pas un tribun, souffre d’un handicap : le soutien fort tiède des rabbins à son projet. D’où le message de fermeté annoncé par Raphy Marciano : « La réforme ne passera pas par une politique de dominos » ou par « des mutations ». « Nous proposerons des réformes : aux hommes de s’adapter, ou sinon d’en tirer les conséquences. »
Améliorer la formation des rabbins
La réforme du séminaire rabbinique, situé rue Vauquelin à Paris, est l’autre chantier auquel Gilles Bernheim souhaite s’attaquer sans tarder. Cette école n’accueille plus assez d’élèves (seulement sept actuellement) et la formation y est jugée, y compris au sein de la communauté, notoirement insuffisante.
« Beaucoup préfèrent partir se former dans des yeshivot (écoles talmudiques, NDLR) en Israël ou aux États-Unis : ils ont un très haut niveau talmudique mais aucune connaissance sur la société française, déplore un responsable de communauté locale. Cela pose problème lorsqu’ils arrivent en province, dans des communautés souvent libérales dans leurs pratiques. » D’autant que le niveau de connaissances des fidèles s’est lui aussi considérablement élevé.
Pour Gilles Bernheim, qui se définit volontiers comme « le rabbin des rabbins », c’est d’abord le cursus de formation lui-même qu’il faut réformer en profondeur, en élargissant le corps enseignant et en intégrant l’étude des sciences humaines. « Les problèmes français actuels appellent des réponses françaises, insiste son ancien directeur de campagne. On ne peut pas plaquer des réponses étrangères sur la situation française. »
Ensuite, pour mieux « réguler la vie rabbinique », Gilles Bernheim souhaite accompagner les rabbins dans leur formation continue et dans leur carrière, et les soutenir si nécessaire dans leur vie personnelle.
« Il est important qu’un rabbin sache d’où il part, où il va, avec quels moyens, comment il peut progresser », avait répété le futur grand rabbin de France pendant sa campagne. Des congrès rabbiniques les réuniront deux fois par an pour leur permettre de faire part de leurs difficultés, de partager leurs expériences.
Anne-Bénédicte HOFFNER